Donato Coco: “Suivre son goût sans être pollué par les tendances”
...Le Journal de l'Automobile : Le jury de l'Homme de l'Année que réunit le Journal de l'Automobile vous a cité dans la liste des nominés pour votre travail sur Picasso, C3, C3 Pluriel et C2. Cela vous a-t-il surpris ?
Donato Coco : C'est en effet très étonnant. Dans notre métier, nous sommes très exposés, mais l'essentiel de notre activité se fait pourtant en solitaire et à l'abri des regards. Il est rare que les observateurs extérieurs identifient réellement ceux qui ont contribué à un résultat. Je pense également que lorsque l'on est responsable d'un programme et que l'on est amené à s'exprimer pour ce rôle de chef d'orchestre, il faut avoir l'élégance et la justice de parler du travail collectif qui a été fait par les équipes d'hommes et de femmes avec lesquelles nous travaillons.
J.A. : Comment l'équipe du style à laquelle vous appartenez est-elle organisée?
D.C. : L'équipe du style Citroën est dirigée par Jean-Pierre Plouet et les directeurs de gamme se partagent la plupart des projets. Le plan produit de la maison est ambitieux et la quantité de projets que nous développons fait que nous avons multiplié le nombre de responsables de gamme. Ensuite, nous travaillons avec des pools de compétences : modelage, CAO, stylistes. Les responsables de ressources fournissent pour chaque projet les moyens qui doivent nous permettre de faire le programme. Le responsable de gamme est un peu comme un général qui n'a pas sa propre armée mais des bataillons selon les campagnes à mener. Cette formule souple nous permet d'éviter le statisme.
J.A. : Quels sont les programmes qui vous ont marqué depuis que vous êtes chez Citroën ?
D.C. : Cela fait vingt ans cette année que je suis dans la maison. J'ai vécu la période difficile mais nécessaire de reconstruction pendant laquelle nous avons dû travailler très dur pour restaurer la crédibilité et la qualité du produit. Nous n'avons fait que progresser. Picasso a été le vrai signe fort du changement et de la libération qui nous ont propulsés vers le futur et les succès commerciaux. L'aventure s'est poursuivie avec tous les véhicules de la plate-forme 1.
J.A. : Avez-vous beaucoup travaillé sur les programmes de Citroën Sport ?
D.C. : L'activité avec Citroën Sport est une drôle d'histoire. En 1990, quand nous nous sommes lancés dans le championnat du monde des rallyes raids, nous partions de rien. A l'époque, nous avons fait la ZX Rallye Raid, mais personne, au style, n'était intéressé par le Sport. Tout le monde savait que j'aidais Guy Fréquelin, mais c'était un peu ce qu'on appelle du travail en perruque. Nous passions des soirées et des week-ends à faire du maquettage dans l'atelier de Citroën Sport. C'est comme cela que sont nées les versions Sport jusqu'à la Xsara. Nous avons établi une relation extraordinaire. Nous avions la passion, même si nous n'avions pas de vrais moyens. Aujourd'hui, ce que nous avons démarré en amateur entre bons copains a été institutionnalisé. La C2 Super 1 600 a été faite dans le studio de style. Nous avons désormais une action globale sur la définition du produit, à la fois pour la production et les programmes sportifs.
J.A. : Quelles sont les consignes qui gouvernent les équipes du style de Citroën ?
D.C. : Trois mots résument le produit et le cadre dans lequel nous agissons : vitalité, expressivité et bien-être. Dans un produit mythique comme la DS, vous retrouvez ces trois valeurs. C3 et Picasso restituent ces mêmes valeurs et réagissent de la même manière. Nous sommes un constructeur généraliste qui doit avoir sa propre personnalité. Pour nous faire remarquer, nous ne devons pas être comme tout le monde, mais faire des produits singuliers qui ne ressemblent pas aux autres. Voilà notre problématique, dans un contexte de bataille de la qualité, de la modernité et de la technologie. Les produits qui nous ont valu le succès que nous connaissons aujourd'hui répondent à ces attentes d'être différents. Encore aujourd'hui, Picasso reste très singulier dans son traité enroulé face à des concurrents qui ont tous plus ou moins un profil d'utilitaire. C3 reste une voiture unique dans la catégorie des petites. Avec son côté iconoclaste, elle ne ressemble à aucune autre.
J.A. : Comment décline-t-on ces valeurs d'un modèle à l'autre ?
D.C. : Une fois que l'on s'est emparé de ces valeurs qui constituent des repaires, il reste la part individuelle du styliste face à sa résolution. Ce qui m'a guidé dans les choix, les mélanges et les arbitrages que j'ai dû faire pour aboutir à la synthèse des produits, c'est un goût - une obsession même - pour l'anticonformisme. Il me paraît important de suivre son goût sans être pollué par les tendances et d'écouter ses pulsions. Cette attitude individuelle recadrée par la technologie disponible, le savoir-faire industriel et l'exigence du marché donne un produit moderne. Il était vital chez Citroën de chercher quelque chose de singulier. Avec Picasso, nous avons renoué avec le succès, puis la reconnaissance est arrivée et la psychologie autour de la capacité d'attraction de la marque a changé.
J.A. : On a pourtant l'impression que ce sont plus les produits que la marque en elle-même qui attirent les clients ?
D.C. : Tant mieux si les produits sont forts pour eux-mêmes. Le client est devenu infidèle et n'a plus le même attachement à la marque qu'auparavant. Le produit doit faire la différence pas ses qualités intrinsèques.
J.A. : Le design et la consommation automobile se rapprochent-ils de la mode ?
D.C. : L'automobile n'échappe pas à ce phénomène. Mais ce qui nous différencie fondamentalement de la mode est le temps de conception avant la mise à la route. Nous sommes une industrie lourde et nous n'avons pas la même réactivité, même si dans ce domaine nous avons accru la performance en quelques années. Nous n'avons pas cette légèreté.
J.A. : Comment avez-vous réussi à différencier C2 de C3 ?
D.C. : Pluriel et C3 forment un binôme dans la même résolution de pensée. Ce sont des voitures hautes, complémentaires, avec un effet famille. Les choix stylistiques sont similaires avec des formes rondes et joviales. C2 se situe dans le bas du segment. Plus basse, elle se différencie par une architecture plus conventionnelle. Pour qu'elle ait sa propre personnalité, il fallait une rupture stylistique. La plupart des voitures ont une ligne de ceinture droite. Nous avons fait une ligne convexe sur C3, double convexe sur C3 Pluriel et une ligne brisée sur C2 avec une custode décalée.
J.A. : Après avoir enchaîné des succès, il doit être difficile de se renouveler ?
D.C. : Absolument. Malgré les ingrédients stylistiques déjà imaginés, les premiers essais de C2 donnaient des voitures rondes car nous étions encore dans la philosophie de C3. Cela n'arrive pas d'un trait, mais est le fruit de la réflexion. Pérenniser le succès est un autre type de difficulté. Quand vous n'avez rien à perdre, vous êtes en condition de progrès et vous prenez des risques. Mais le statisme n'est pas la solution : même s'il n'est pas nécessaire de refaire le monde, on ne peut pas reprendre le même calque. Il faut se remettre en question, ce qui demande du courage.
Propos recueillis par Florence Lagarde
Curriculum vitaeNé en 1954 à Rignano Garganico, dans les Pouilles italiennes, Donato Coco arrive en France à l'âge de 5 ans. Il a gardé la nostalgie de son Italie natale, pays où il n'a jamais vécu ensuite. Après un Bac technique, il obtient un diplôme d'architecture d'intérieur, puis un diplôme national supérieur d'expression plastique à l'école des beaux-arts de Besançon, complété par un diplôme Automotive Design du Royal College of Art de Londres. D'abord photographe de presse (1978), puis illustrateur de livres pour enfants (1979), il entre en 1980 chez le fabricant de lunettes de ski et de casques Cébé International comme Graphic Designer. Il devient styliste chez Automobiles Citroën en 1984. Il y sera successivement responsable de style extérieur des gammes du segment B (Saxo et concept-car C3), puis du segment M1 (ZX, Xsara et Xsara Picasso). En 1998, il devient responsable de style intérieur et extérieur de la plate-forme 1 (petites voitures). Il fera successivement le démonstrateur Pluriel (1999), C3 (2001), C3 Pluriel (2003) et C2 (2003). Ce qu'il fait aujourd'hui ? Confidentiel |
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