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Constructeurs

Christiane Trillot : “Je veux promouvoir au maximum les femmes”

Publié le 3 septembre 2004

Par Tanguy Merrien
11 min de lecture
Charmante, conquérante… atypique, ces qualificatifs vous viennent à l'esprit dès que vous rencontrez Christiane Trillot. Ex-P-dg d'un équipementier automobile, elle est aujourd'hui chasseur de tête. Une somme d'expériences qui a forgé chez cette femme trépidante un caractère bien trempé....
Charmante, conquérante… atypique, ces qualificatifs vous viennent à l'esprit dès que vous rencontrez Christiane Trillot. Ex-P-dg d'un équipementier automobile, elle est aujourd'hui chasseur de tête. Une somme d'expériences qui a forgé chez cette femme trépidante un caractère bien trempé....

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Christiane Trillot n'est pas entrée dans l'univers de l'automobile par hasard. Elle y est née. Son grand-père, Paul Courtot, a fondé au début du siècle une entreprise de conception et de fabrication de véhicules, les "Philos" comme on les appelait. La Première Guerre mondiale a mis un terme à l'activité, mais n'a pas découragé pour autant l'aïeul, qui selon les propres termes de sa petite-fille était un "inventeur de génie et un mécanicien dans l'âme". Il part donc s'installer à Sochaux, face aux usines Peugeot et crée la dynamo pour le vélo, qu'il baptise Magneto lumière, qui deviendra par contraction Maglum. Progressivement, l'entreprise s'agrandit. En 1935, le grand-père disparaît et ce sont ses deux fils qui reprennent le flambeau. Après maintes péripéties, dont la destruction presque totale de l'usine, bombardée par les Anglais pendant la Seconde Guerre mondiale, l'affaire familiale réussit à croître et devient même trop petite en termes de surface. Les frères trouvent alors un emplacement en Haute-Saône, à Ronchamp exactement, sur une ancienne mine. Ils recrutent d'ailleurs les salariés auprès de la population d'ex-mineurs désirant se reconvertir. "Je me souviens qu'il y avait beaucoup de mineurs d'origine polonaise… certains sont restés chez nous jusqu'au bout." Les frères Courtot se font un nom et, trois usines et 1 500 salariés plus tard, l'entreprise est pérenne, avec trois activités principales réparties sur trois sites : emboutissage et assemblage, fabrication d'accoudoirs et tableaux de bord, et enfin production de pare-soleil et injection plastique. Christiane Trillot a 30 ans à cette époque et seconde déjà son père, le président, jouant le rôle de bras droit, d'assistante personnelle. "Il y avait un équilibre entre mon père et mon oncle, se souvient-elle. Mon père, de huit ans son aîné, était calme et posé. Il avait un sens du relationnel exceptionnel. C'était un homme de consensus, il était charismatique, et c'était un réel plaisir de travailler avec lui. Quant à mon oncle, il était l'inventeur et le créatif de ce duo, toujours en train de modifier, de créer, de trouver des solutions… Il avait le génie inventif de mon grand-père. Les deux frères étaient complémentaires. Moi j'étais la plus proche collaboratrice de mon père, et comme je parlais anglais et allemand, je le suivais partout et je l'assistais pour tous les contrats." A l'époque, on n'appelait pas encore "équipementiers" ces sociétés qui concevaient les pièces pour les constructeurs, mais plutôt "sous-traitants". Et puis, en 24 heures, c'est le basculement, son père décède subitement, et le conseil d'administration vote à l'unanimité son élection au poste de président-directeur général : "J'ai été brutalement exposée à la lumière, moi qui ai toujours été dans l'ombre de mon père. A peine nommée, j'ai dû faire un discours devant les cadres et les collaborateurs pour expliquer la situation. J'étais une gamine de 32 ans, je n'avais pas l'habitude de parler en public. Mais j'ai relevé le défi. Je ne voulais pas perdre ce que ma famille avait mis tant d'années à créer. C'était en 1972." Durant la décennie qui suit, Christiane Trillot est alors le témoin de certaines anecdotes révélatrices de la mentalité de l'époque. Elle se souviendra longtemps de ce jour où une équipe venue auditer une des trois usines pour des questions environnementales demande à voir le président… et refuse de croire qu'il s'agit de la femme qui est devant eux. "Ils voulaient voir le président, commençaient même à s'impatienter, j'avais beau leur dire que c'était moi, il a fallu que j'appelle le directeur de l'usine pour qu'il le certifie. C'était en 1977."

Prendre le pari d'une reconversion réussie

Une consolidation financière est nécessaire à un moment donné et suggère un rapprochement avec un partenaire que Christiane Trillot avait déjà identifié. Une consolidation qui implique la suppression de 260 postes sur les 1 500 au total. La CGT entreprend alors d'occuper les usines afin de marquer son opposition : "Une occupation sauvage et musclée, entreprise par une poignée d'hommes, une trentaine au maximum, mais tous déterminés." La bataille va perdurer. L'affaire prend une tournure politico-syndicale - elle est remontée jusqu'à l'Assemblée nationale - et la presse en fait ses choux gras pendant plusieurs semaines. A l'époque, la société était l'unique fournisseur de Renault, Peugeot et Citroën pour bon nombre de pièces. L'affaire a donc pris des proportions énormes, et toute activité a été stoppée du jour au lendemain. "L'entreprise, qui ne fonctionnait plus, a été déclarée en suspension provisoire de poursuites, c'est-à-dire que toute activité était gelée pendant les négociations." Des négociations qui n'ont pu aboutir à un quelconque arrangement, face à la volonté clairement affichée de certains syndicalistes qui n'ont pas hésité, selon Christiane Trillot, à employer tous les moyens pouvant mettre en péril la société. "Des documents comptables ont été dérobés et l'administrateur judiciaire n'a jamais pu avoir accès à certains dossiers." Une période pénible qui ne prend fin qu'à la liquidation de la société, déclarée par le tribunal de Nanterre : "En dix minutes, tout était fini. Je n'avais plus rien. Un article paru dans l'Est Républicain, sur les déclarations de la CGT, n'a pas hésité à m'accuser de détournements de fonds, et un autre, paru dans Le Monde, m'accusait d'être partie avec toute ma famille dans des îles lointaines, avec l'argent que j'aurais dérobé. Là, j'ai touché le fond." Christiane Trillot décide alors de tout remettre en question. Elle veut chasser certaines images de sa tête. Pour cela, une seule thérapie : le travail. Sa combativité reprend le dessus et elle cherche un nouveau poste, bien qu'elle avoue, à cette époque, ne plus vouloir endosser les responsabilités qui incombent aux chefs d'entreprise. Elle trouve un poste d'adjointe de directeur d'une division francophone de Delattre Levivier, filiale de Creusot-Loire, où elle découvre l'univers des ressources humaines. "Il y avait énormément de recrutements à faire, des cadres qu'il fallait par la suite envoyer dans les pays où était implanté le groupe. Il fallait les recruter, les former, les suivre… ce domaine m'a passionnée pendant les cinq années qui ont suivi." Ayant pris goût au secteur des ressources humaines, Christiane Trillot décide alors de reprendre ses études, plus particulièrement en psychologie du travail, des études qu'elle mène en parallèle avec son métier. Elle avoue avoir vécu six années difficiles : peu de sorties avec ses enfants qui ont vu leur mère potasser ses livres et réviser ses cours tous les soirs et les week-ends, et peu de temps à consacrer à son mari. "Nous sommes très peu sortis pendant cette période, c'est vrai. Pendant six ans, j'ai travaillé et j'ai étudié en même temps, le midi, le soir et les fins de semaine. Mais ce sont véritablement mes enfants et mon mari qui se sont sacrifiés et qu'il faut saluer, car c'est sans aucun doute grâce à eux que j'ai poursuivi mes études jusqu'au bout, quand tant d'autres femmes ont abandonné les leurs par faute de soutien familial." En 1987, elle obtient son DESS et sort même major de sa promotion. Elle trouve quelques missions dans un cabinet pour faire de l'outplacement, une activité qui lui convient tout à fait et, par le hasard de ses rencontres, entre comme directeur associé chez Equipes et Entreprises en 1988 : "C'est là que j'ai appris mon métier de chasseur de tête." Elle y fait la connaissance de Denis Dodin, autre associé du cabinet, et ensemble ils travailleront jusqu'en 1992, date à laquelle le cabinet rencontre des difficultés. "Le début des années 90 fut une mauvaise période pour le métier de consultant. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Philippe Dunoyer de Segonzac, notre actuel président chez Lincoln, qui m'a proposé de venir travailler dans son propre groupe, avec Denis." Elle crée en 1993 Lincoln Associés.





Anecdote
Lorsqu'elle postule chez Delattre Duvivier pour un poste d'adjointe, Christiane Trillot doit remplir un dossier de candidature. Au vu de son cursus professionnel, passé pour l'essentiel en tant que président-directeur général d'une entreprise de 1 500 personnes, la secrétaire chargée du recrutement lui demande si elle ne s'est pas trompée d'adresse.

"Seul l'humain est important"

Le cabinet se développe au fil du temps et élargit son champ de compétences pour proposer aujourd'hui du management de transition, du coaching et bien entendu du recrutement, dans le domaine de l'automobile. Alors qui, mieux que Christiane Trillot, peut observer les tendances en termes de recrutement dans l'univers ô combien masculin de l'automobile ? "J'ai effectivement remarqué une évolution quant à la place des femmes dans ce secteur. Fort heureusement, car lors de mes premières fonctions, en tant que présidente de société, je peux vous dire que je n'en rencontrais pas beaucoup. Je connaissais, par exemple, la première femme acheteuse chez Citroën, cela remonte aux années 70. Plus tard, lorsque je travaillais chez Delattre, il n'y avait que 4 femmes cadres sur les 4 000 personnes qui constituaient la société, c'était dans les années 80. Aujourd'hui, dans les entreprises il y en a bien plus, même s'il est encore difficile pour elles de s'imposer sur des postes à responsabilités." En tant que chasseur de tête, Christiane Trillot propose lorsqu'elle le peut des candidatures féminines, un exercice encore difficile semble-t-il : "Lorsque les postes à pourvoir sont des postes de cadres, la compétition est rude avec les candidatures masculines. Les dossiers que je soumets sont toujours solides, mais là, ils doivent l'être encore plus. Pourtant, je persiste et je signe, je veux promouvoir au maximum les femmes dans les entreprises, et pour cela je n'hésite pas quelquefois à interpeller les dirigeants en leur disant : Aujourd'hui, nous sommes en 2004, alors ne me dites pas que vous ne voulez pas étudier la candidature d'une femme à ce poste ?" Recruter une femme pour un poste d'assistante commerciale ne pose pas de problème, mais pour un poste à responsabilité, cela devient plus ardu ? "Oui, car d'un côté, les CV sont moins nombreux pour ce type de poste, il faut bien le reconnaître, et de l'autre, les dirigeants pensent d'abord à recruter des collaborateurs masculins. Dans le métier de consultant, par contre, cela n'existe pas." Christiane Trillot avoue ne jamais avoir eu de problème pour évoluer dans l'univers masculin, "même si quelquefois, à certaines occasions, j'avais l'impression d'être "une bête curieuse". Globalement, je dois reconnaître que je n'ai jamais eu de problème relationnel, ni même la sensation de devoir me battre parce que j'étais une femme. Mais attention, car qui s'y frotte, s'y pique." Christiane Trillot a plutôt le sentiment d'avoir été épargnée par ce genre de choses et reconnaît qu'elle a profité - dans le bon sens du terme - des côtés paternalistes et protecteurs de certains. D'après elle, il faut dire simplement les choses, s'entourer des bonnes personnes, reconnaître ses propres limites et savoir déléguer. Aujourd'hui, elle avoue mieux gérer son temps, entre son travail et sa famille : "J'exerce une fonction où il n'y a pas d'horaires. Ce métier est stressant, les gens ne s'en rendent pas compte vu de l'extérieur, mais nous travaillons sur de la matière humaine, nous n'avons pas le droit à l'erreur. La pression est très forte." Ses passions sont tournées vers la musique et la lecture, elle dévore d'ailleurs les bouquins pendant son mois de vacances et personne ne peut l'en empêcher. Elle consacre énormément de temps au bénévolat dans des travaux associatifs. "J'y passe tous mes week-ends, j'y rencontre des gens extraordinaires et passionnants. J'aimerais donner plus de temps aux autres, car ce sont eux qui m'intéressent. Dans mon métier comme dans ma famille, je fais en sorte que ma porte soit toujours ouverte. Je suis comme mon père, j'ai probablement hérité de son charisme et de son autorité, et mon métier m'a appris l'écoute et le respect de l'autre. Seul l'humain est important." 


Muriel Blancheton






  • Etes-vous passionnée d'automobile ? Oui
  • L'automobile : hasard ou choix ? Hérédité
  • Un autre secteur vous plairait-il ? Le BTP
  • La marque de votre véhicule ? Peugeot 206
  • L'avantage d'être une femme ? Savoir utiliser ce que la nature nous a donné
  • La voiture la plus féminine ? Une décapotable (mais essentiellement conduite par des hommes)
  • La voiture la plus masculine ? Le 4x4 (mais essentiellement conduit par des femmes)
  • A choisir, week-end shopping ou F1 ? F1 pour l'ambiance et la passion qui anime ces gens
  • Jupe ou pantalon ? Jupe, que les femmes restent des femmes.
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