L’électrique met le poste des pneumatiques sous tension
Le taux de pénétration des véhicules électriques dans les flottes automobiles demeure à géométrie variable. Il oscillerait entre 8 et 10 %. La tendance répond à la loi d’orientation des mobilités (LOM) et bénéficie d’une fiscalité avantageuse.
La car policy intègre aussi les engagements en matière de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Sur fond de mix énergétique, elle donne toute sa place aux modèles hybrides, hybrides rechargeables (PHEV) et full electric, en particulier pour la desserte des ZFE (zones à faibles émissions) malgré une autonomie encore limitée des véhicules utilitaires électriques.
Dans ce contexte, Epyx – société britannique spécialisée dans la gestion de flotte automobile – a évalué la durée de vie des pneumatiques installés sur les véhicules électriques versus sur les modèles thermiques. Selon les données publiées cet automne, les pneus montés sur les véhicules électriques dureraient en moyenne 10 219 km de moins que ceux installés sur les voitures essence ou diesel. Plus précisément, le premier remplacement des enveloppes sur un véhicule électrique interviendrait en moyenne à 28 944 km ou 551 jours d’utilisation.
Des données confirmées par Arnaud Miquel, responsable du parc automobile de Chronopost (voir ci-dessous). La consommation en pneus est inhérente au poids accru des modèles électrifiés et au couple instantané, explique Cyrille Roget, directeur de l’innovation de Michelin : "À véhicule égal, elle se révèle supérieure."
En ce qui concerne les hybrides, le remplacement serait requis après environ 40 000 km ou 585 jours. Quant aux modèles thermiques diesel et essence, les pneus nécessiteraient un changement après quelque 39 000 km parcourus ou 670 jours d’utilisation. De plus, l’entité met en évidence des coûts d’installation plus élevés, avec une moyenne de 240 euros. Pour les modèles diesel ou essence, ce montant descend à 150 euros pour des pneus de 17 à 18’’.
Prix et rendement des pneus, des sujets de préoccupation
Dans les faits, le passage aux modèles électriques est un sujet à la fois "concret et abstrait" pour les gestionnaires de flotte, note Matthieu Faucheux, directeur des ventes d’Euromaster. La thématique se révèle "ultratransverse". Sa complexité s’explique également par les "allers‑retours" des réglementations relatives à la LOM ou aux ZFE.
Dès lors, du côté des responsables de parc, la méconnaissance des uns n’aurait d’égale que l’expertise des autres. "Les gestionnaires ont conscience des spécificités des véhicules électriques en matière de couple ou de poids. Ils s'inquiètent du prix des pneus et du rendement kilométrique qui deviennent des sujets de préoccupation."
Une hausse de l’usure des pneus de 26 % s’avère conséquente à l’échelle d’un parcBenjamin Filippi, directeur d’Eurofleet Tyres & Services
Pour autant, du côté des responsables de parc et des pneumaticiens, la transition énergétique ne s’accompagne pas d’une révolution dans la gestion du poste des pneumatiques. "Elle ne change pas réellement la donne", remarque Benjamin Filippi, directeur d’Eurofleet Tyres & Services, tout en reconnaissant la fiabilité des résultats avancés en matière d’usure des enveloppes sur les modèles électriques. "Une hausse de 26 % s’avère conséquente à l’échelle d’un parc. D’autant que la monte dimensionnelle croissante générée par des jantes de 18 à 23’’ s’accompagne d’un renchérissement du coût des pneus à la rechange."
Le contexte technique, dimensionnel et inflationniste actuel contribue à mettre le poste des pneumatiques des flottes VE sous pression. Son coût est appelé à augmenter, avec une hausse possible de 20 à 25 % sur un parc roulant électrifié, avance Benjamin Filippi.
Tenir compte du poids et du couple des VE
Interlocuteurs privilégiés des gestionnaires, les réseaux spécialistes accompagnent la mutation des parcs roulants. Deux facteurs déterminants sont à prendre en compte dans les véhicules électriques, souligne Matthieu Faucheux.
D’une part, les accélérations et les freinages peuvent générer une usure prématurée des pneus et impacter le rendement kilométrique.
D’autre part, un suivi préventif associé à des profils adaptés sera préconisé. Lors des inspections de parc, plus de 60 % des pneus présentent un défaut (usure, pression, géométrie…). Les recommandations visent à garder la maîtrise du budget relatif aux pneumatiques.
Car sans surveillance, le changement des enveloppes pourra s’opérer dès 20 000 km sur un VE ! Pour autant, "il n’y a pas de fatalité", selon le responsable. "Les manufacturiers sont en train d’adapter leurs gammes en prenant en compte les effets poids, couple, usage et bruit, de manière à limiter ces facteurs de risque."
Les constructeurs mettent l’accent sur l’autonomie, là où les utilisateurs attendent des kilomètresPierre‑Emmanuel Leclercq, chef de produit de Continental France
Au‑delà, il faut reconsidérer les usages des pneumatiques sur les modèles électriques et en repenser l’approche, estime Matthieu Faucheux. L’enjeu est de tenir compte du poids et du couple. Le freinage régénératif influence également la longévité du pneu. La technologie, absente des modèles thermiques, vise à récupérer de l’énergie cinétique pour alimenter la batterie de traction.
Par ailleurs, le silence de fonctionnement des VE imposera un profil le moins bruyant possible, nous indique‑t‑il. Enfin, la résistance au roulement aura un lien direct avec le rendement kilométrique et donc l’autonomie des batteries de traction.
Des spécificités qui conduisent les manufacturiers comme Michelin et Hankook à remettre l’ouvrage sur le métier. "Sur un véhicule électrique, il est préconisé d’utiliser un pneu pensé pour l’électrique, même si les gammes restent encore faibles et peu profondes."
Les manufacturiers refont leurs gammes
Du côté des manufacturiers, la stratégie face à l’électrification du parc roulant a évolué avec les années. À l’origine, l’accent a porté sur le développement de profils spécifiques. Les modèles électriques concernent à présent un parc hétérogène composé de citadines, de berlines et de SUV, souligne Pierre‑Emmanuel Leclercq, chef de produit pneus tourisme, 4x4 et camionnettes de Continental France.
L’évolution a conduit les fabricants à repenser leurs enveloppes pour les adapter en premier lieu aux VE se focalisant sur la réduction de la résistance au roulement à même de préserver l’autonomie des batteries de traction, le renfort de la carcasse et l’insonorisation.
La compatibilité concerne les gammes été, hiver et toute saison. La polyvalence est certifiée à travers le marquage EV du côté de Continental. Pierre‑Emmanuel Leclercq de souligner la "dichotomie" du marché. "Les constructeurs mettent l’accent sur l’autonomie des VE avec des profils été dotés d’une faible résistance au roulement, là où les utilisateurs attendent des kilomètres."
La consommation en pneus est inhérente au poids accru des modèles électrifiés et au couple instantanéCyrille Roget, directeur de l’innovation de Michelin
Sur le plan technique, Cyrille Roget constate que la technologie "extralourd" (ou heavy) créée pour les modèles thermiques peut s’appliquer à l’électrique. À l’inverse, les mousses acoustiques présentes sur les pneus des véhicules électriques de manière à réduire les bruits de cavité contribueront au silence de fonctionnement des versions essence ou diesel.
"Les technologies que nous pensions spécifiques aux VE servent aussi bien pour les modèles thermiques. Nous estimons aujourd’hui que toutes nos gammes sont compatibles." La différence se fait davantage sur l’usage. Certains automobilistes privilégieront l’autonomie, d’autres une conduite sportive. Quant à la polyvalence, elle trouvera sa réponse dans le profil toute saison dont la résistance au roulement a été retravaillée de manière à améliorer l’autonomie et la performance énergétique nécessaires à l’électrique.
Face à des gammes devenues hybrides, "il va falloir être vigilant et se former", prévient Benjamin Filippi. L’enjeu est de savoir si les technologies mises en avant par les manufacturiers sont réellement adaptées aux modèles électriques, de manière à limiter l’évolution du coût du poste des pneumatiques des flottes électrifiées.
Un enjeu de suivi préventif
En matière d’exploitation, les paramètres importants à prendre en compte sur un véhicule thermique le sont encore davantage sur un modèle électrique, avance Cyrille Roget. À la différence des consommations en carburant, l’indicateur de référence porte ici sur l’autonomie.
Sur un véhicule électrique, la surveillance des pressions apparaît dès lors fondamentale. Un pneumatique gonflé à la mauvaise pression va s’échauffer plus vite et consommer davantage d’énergie. Sur un modèle thermique, la consommation en carburant pourra augmenter de 0,5 à 1 l aux 100 km. Sur un véhicule électrique, une autonomie prolongée de 10 à 20 km fera la différence au moment de rejoindre une borne de recharge.
Les gestionnaires s’inquiètent du prix des pneus et du rendement kilométriqueMatthieu Faucheux, directeur des ventes d’Euromaster
L’attention pourra également porter sur les formations à l’écoconduite afin de retrouver un rendement kilométrique plus conforme aux performances attendues d’un pneu. Car les capacités techniques des véhicules électriques peuvent engendrer des comportements néfastes au volant, remarque Matthieu Faucheux.
Sur un VE, la puissance transmise aux pneus, les accélérations et les freinages prononcés, mais également le poids, demandent une conduite plus souple afin de minimiser le coût de possession des pneus, abonde Mikael Aladenise, responsable technique de Continental France.
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Une nécessaire expertise
Les modèles électriques renforceraient donc le besoin d’accompagnement des flottes sur le poste des pneumatiques. Une même dimension affiche une variété d’indices de charge et de vitesse, observe Benjamin Filippi. Face à des profils devenus runflat, EV, proposés en gammes été, quatre saisons et hiver, le conseil devient primordial.
Car si un pneu développé pour un véhicule électrique pourra s’adapter à un modèle thermique, la réciprocité n’est pas possible, prévient‑il. "Un profil classique fera le nécessaire en termes de tenue de route, mais à l’usage, le confort acoustique n’est pas dans son ADN." Il pourra aussi impacter l’autonomie du véhicule.
Quant à sa structure, elle n’est pas prévue pour répondre à l’embonpoint des modèles électriques lestés d’une batterie de traction de 300 kg. La vigilance entourant le suivi régulier des pneumatiques (pression, usure, géométrie) apparaît d’autant plus nécessaire sur les véhicules électriques que la fréquence des visites en atelier s’avère réduite.
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Le VE en toute saison !
Pensée et développée pour répondre aux contraintes techniques spécifiques des véhicules électriques en matière de poids et de couple, la gamme toute saison du manufacturier Vredestein prend le contre‑pied des habituels majors du segment. Un profil compatible avec les modèles thermiques ne sera pas optimisé pour les véhicules électriques, explique Yves Pouliquen, directeur des ventes de Vredestein France. Les gammes toute saison VE du fabricant visent à répondre à la durée de vie des enveloppes mise à mal sur les versions électriques. Mais pas que. "Les pneus deviennent l’un des seuls motifs de se rendre dans un garage sur les VE", remarque le responsable. Le recours à un profil all season évitera dès lors les permutations été‑hiver à l’automne et au printemps. "Il s’agit d’un choix d’usage. Un pneu tout temps est le meilleur compromis pour un VE." La tendance séduirait une part croissance de gestionnaires de flotte, le toute saison répondant à 90 % des besoins.
Après avoir conquis le marché de l’été, le profil gagne à présent l’hiver malgré un surcoût de 5 à 8 % sur les versions spéciales VE. Néanmoins, pour les flottes dont les utilisateurs sont exposés à des conditions hivernales marquées (notamment dans le cadre de la loi Montagne et des trois départements situés en zones blanches), le recours aux pneus hiver reste ancré, y compris pour les véhicules électriques.
3 questions à…
Arnaud Miquel, responsable du parc automobile de Chronopost
"Sur les VU électriques, la réduction des immobilisations compense l’usure des pneus"
Au regard de votre expérience, quel est l’impact des véhicules électriques sur le poste des pneumatiques ?
Nous avons pris un virage vers la livraison 100 % électrique dès 2018. Aujourd’hui, nous disposons de 1 100 véhicules utilitaires électriques toutes marques confondues. Nous avons donc un certain recul pour observer les contraintes des motorisations électriques versus thermiques. Nous sommes amenés notamment à changer les pneus plus souvent. Nous constatons une baisse de la durée de vie de l’ordre de 10 000 km. À modèle équivalent, le premier changement de pneus s’effectue entre 25 000 et 30 000 km, soit 550 jours, contre 40 000 km et deux ans sur une camionnette thermique.
Dès lors, les pneus supposent‑ils une vigilance accrue ?
Nous sommes plus regardants dans le suivi des indicateurs et des données consolidées transmis par nos prestataires Eurofleet et Viasso. Notre objectif est d’être accompagnés de manière à aboutir à une meilleure maîtrise du coût grâce à des professionnels du pneu et à une gestion au réel du poste. Nous sensibilisons aussi nos livreurs à travers plusieurs critères comme le contrôle des pressions de manière à allonger la durée de vie des pneus. Il s’agit d’un facteur essentiel à prendre en compte avec une vérification mensuelle. Nous mettons aussi en place des formations à l’écoconduite, car une voiture électrique ne se conduit pas de la même manière qu’un modèle thermique.
En matière de pneumatiques, le rapport bénéfice‑risque plaide‑t‑il en faveur des VE ?
La surconsommation des pneus est un inconvénient, mais ce dernier reste minime au regard des avantages en termes de maintenance. Sur un modèle électrique, l’entretien se concentre sur les consommables, à savoir les plaquettes de frein, les disques et les pneus. Contrairement à un modèle thermique, il n’y a pas de panne de turbo, de casse moteur ou de distribution à remplacer. Le désagrément généré par la consommation accrue en pneumatiques est donc limité par rapport au coût engendré par les réparations des modèles thermiques. D’autant que l’immobilisation nécessaire à un remplacement de pneus est infime. Les prestataires peuvent intervenir directement sur nos parcs et effectuer l’opération en une heure, là où une intervention mécanique peut nécessiter un mois en atelier.
Dossier réalisé par Ludovic Bellanger
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