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Constructeurs

Le pire reste à venir… en Europe

Publié le 5 octobre 2012

Par Armindo Dias
9 min de lecture
Le développement des pays émergents et le tassement de l’activité dans les pays matures vont fortement impacter l’industrie automobile. L’avenir s’annonce radieux chez les premiers et compliqué, voire très sombre, chez les seconds. Le point avec les entités Roland Berger, AlixPartners, Euler Hermes, Oliver Wyman et PwC.
Max Blanchet, Senior Partner au sein du cabinet de conseil Roland Berger

Les principaux acteurs du monde de l’automobile ne doivent pas trop se faire d’illusions : leurs parts de marché et leurs niveaux d’activité sont encore appelés à être chamboulés dans les prochaines années. Constructeurs comme équipementiers et distributeurs devront plus que jamais s’adapter à une nouvelle donne marquée, d’une part, par une stagnation ou une croissance “molle” dans les pays matures et, d’autre part, par un développement rapide dans tous les pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Conséquence logique, l’outil industriel va devoir s’ajuster. Et le premier continent où cette révolution devrait avoir lieu sera sans aucun doute la bonne vieille Europe. Ce continent n’a en effet pas encore procédé à sa restructuration industrielle, même si la production automobile européenne a baissé de 11 % depuis 2007, selon l’assureur-crédit Euler Hermes (- 38 % en Italie, - 24 % en France, - 16 % au Royaume-Uni et + 1,6 % en Allemagne)*. Les surcapacités de production restent persistantes sur le Vieux Continent. Pour preuve : d’après une étude récente du cabinet de conseil AlixPartners, il y a actuellement une surcapacité structurelle d’environ 25 % en Europe (voir graphique) et 40 % des usines européennes opèrent en deçà de leur point mort, un niveau atteint avec un taux d’utilisation de 75 % à 80 %. Le cabinet de conseil Roland Berger estime pour sa part que les usines européennes spécialisées dans le milieu de gamme affichent une surcapacité de production d’environ 40 %, les sites tournant en sous-régime se situant plus en Europe de l’Ouest qu’en Europe de l’Est (cette dernière a accaparé une grande part de la production du milieu de gamme, comme le démontre le tableau). Et malheureusement, il y a peu de chances que ces sites tournant en sous-régime retrouvent un niveau d’activité normal à la faveur d’un retour massif de la demande.

Pas de retournement de marché possible

“Un retournement de marché semble très peu probable, prévient Max Blanchet, Senior Partner au sein du cabinet de conseil Roland Berger. La population stagne, le taux d’équipement des ménages a atteint son pic et les automobilistes font de moins en moins de kilomètres, tous ces éléments aboutissant au final à un allongement de la durée de détention des véhicules et à un détournement des consommateurs des véhicules de milieu de gamme vers ceux des catégories low cost et dans une moindre mesure Premium.” Et cela ne date pas vraiment d’hier : selon le cabinet de conseil, les ventes de VP et de VU du segment milieu de gamme se sont contractées de 23 % en Europe et en Turquie depuis 2007, à 12,5 millions d’unités (+ 40 % pour les modèles à bas coûts et - 14 % du côté des modèles Premium). Le problème est qu’aujourd’hui, les constructeurs ne peuvent plus continuer à exploiter des sites qui fonctionnent à seulement 60 % de leurs capacités. Des constructeurs affichent en outre des taux de productivité très bas sur des sites dédiés au milieu de gamme, pour l’essentiel Fiat (43 %), PSA Peugeot Citroën (57 %), Renault-Nissan (58 %) et Opel (64 %). Les taux d’utilisation de ces sites sont bien en deçà de ceux enregistrés sur les sites de production spécialisés dans le low cost et le Premium (voir graphique).

Plusieurs fermetures à venir

Roland Berger estime donc qu’il pourrait y avoir de 5 à 10 fermetures d’usines dans les deux ou trois prochaines années en Europe de l’Ouest (80 000 emplois seraient menacés). “A part Volkswagen et Ford, les constructeurs affichent des taux de productivité dans leurs usines qui sont insoutenables, et le marché ne va pas se redresser”, explique Max Blanchet. “Des fermetures sont d’autant plus probables que nous n’avons recensé que deux fermetures sur les exercices 2010 et 2011”, souligne pour sa part Yann Lacroix, le responsable des études sectorielles chez l’assureur-crédit Euler Hermes. Lesdites fermetures se sont produites à Anvers, en Belgique, avec Opel et à Termini, en Sicile, avec Fiat. Autant dire qu’elles ne seront bientôt plus les seules, sans compter avec la fermeture à venir de l’usine PSA Peugeot Citroën d’Aulnay-sous-Bois**. Ford envisagerait ainsi de fermer son usine de Genk, en Belgique, et GM celle d’Opel située à Bochum, en Allemagne. “Les usines dont le taux d’utilisation est le plus faible se situent principalement en France, en Italie et en Espagne”, indique néanmoins Laurent Petizon, Managing Director du cabinet de conseil AlixPartners, à Paris. Aussi, rien d’étonnant si Fiat vient de suggérer qu’il envisageait une réduction de ses activités en Italie, expliquant sa démarche par le fait que le “marché automobile européen est entré dans une grave crise et [que] celui de l’Italie s’est effondré au niveau de celui des années 70”. Certains constructeurs ne semblent en tout cas plus avoir le choix s’ils veulent survivre et avoir une chance de se développer sur les marchés porteurs, leur décision devant être d’autant plus rapide qu’ils ne peuvent tirer indéfiniment sur leur besoin en fonds de roulement (BFR). Et ce, même s’ils peuvent aussi tenter d’accroître leur rentabilité en faisant en sorte d’augmenter la valeur de revente de leurs véhicules. “Nous avons constaté qu’il y avait toujours une corrélation entre le pourcentage d’utilisation des usines chez les constructeurs et leur Ebitda”, relève Laurent Petizon. Or, plus cette donnée comptable est élevée dans une entreprise et plus cette dernière dispose d’une capacité d’investissement importante, un atout concurrentiel dans tous les secteurs d’activité.

Marges opérationnelles trop faibles

“Des marges opérationnelles trop faibles nécessitent de procéder à des adaptations à un moment ou à un autre”, souligne pour sa part Yann Lacroix. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les constructeurs français ne sont pas les mieux positionnés en matière de marges opérationnelles : l’assureur-crédit estime que la marge opérationnelle des constructeurs français sera cette année d’environ 1 %, soit un point de moins qu’en 2011 et deux points de moins par rapport à 2010. “Les constructeurs allemands devraient, quant à eux, afficher pour leur part une marge opérationnelle d’environ 7 % sur 2012”, relève Yann Lacroix. Ils disposent donc d’une marge de manœuvre plus conséquente en matière d’investissements et peuvent mieux défendre leurs positions sur tous les marchés, aussi bien ceux des pays matures que ceux des pays émergents. Les Etats-Unis peuvent en témoigner : au cours de ces quatre dernières années, leurs grands constructeurs ont fermé 18 usines et licencié des dizaines de milliers de personnes sur le seul territoire américain, pour retrouver une santé financière et redevenir plus dynamiques. Mieux : ils se remettent à recruter ! “Ils ont embauché 100 000 personnes ces deux dernières années”, indique Yann Lacroix. Autant dire, donc, que ces constructeurs ont connu une véritable renaissance et qu’ils se retrouvent en meilleure position pour répondre de façon efficiente à la demande mondiale. Et il semble qu’il y en ait ! La preuve ? Euler Hermes estime que la production mondiale connaîtra une croissance d’environ 4 % cette année, l’assureur-crédit s’attendant à une évolution identique sur 2013 (83 millions de véhicules produits). Oliver Wyman estime pour sa part que la production mondiale ne cessera de croître jusqu’en 2020 pour atteindre les 104 ou 119 millions d’unités, selon qu’il s’agisse des projections des constructeurs ou de celles des cabinets de conseil (voir tableau). “Cette évolution entraînera bien sûr une modification de la part de chaque segment de marché dans la production mondiale”, précise Rémi Cornubert, Partner en charge du secteur automobile au sein du cabinet Oliver Wyman. D’après celui-ci, celle du segment milieu de gamme devrait passer de 71 % à 67 % entre 2006 et 2015 (de 21 % à 24 % pour le segment entrée de gamme et de 8 % à 9 % pour le segment Premium). La croissance de la production mondiale ne doit en tout cas rien au hasard, même si elle bénéficiera beaucoup plus à certains continents (voir graphique). Des marchés sont en effet très demandeurs d’automobiles, à commencer bien sûr par les pays émergents.

Des immatriculations en hausse

“Les immatriculations dans les pays émergents devraient progresser de 5 % à 6 %”, confirme Yann Lacroix. En Chine, elles devraient évoluer sur un rythme de 6 % aussi bien en 2012 qu’en 2013. Au Brésil elles sont attendues en hausse de 7 % sur 2012, puis de 3 % à 4 % sur 2013. “Nos prévisions sur ce dernier exercice ont été faites sans prise en compte de la prolongation de la baisse des taxes sur les produits industriels décidée par le gouvernement brésilien et prolongée à ce jour seulement jusqu’à la fin du mois d’octobre” précise Yann Lacroix. Aux Etats-Unis, les immatriculations sont attendues en hausse de 12 % sur 2012 et en progression de 5 % sur 2013. De ce côté-ci de l’Atlantique, l’assureur-crédit estime que les immatriculations progresseront en Russie de 11 % en 2012, avec environ 3 millions d’immatriculations, puis de 5 % en 2013. Qu’en sera-t-il à proprement parler de la vieille Europe ? Elle ne sera pas franchement à la fête. Euler Hermes estime en effet que les immatriculations y dévisseront de 6 % en 2012, puis enregistreront une nouvelle baisse de 2 % à 3 % en 2013. “Les volumes en jeu y seront donc encore inférieurs de plus de trois millions d’unités à ceux qui avaient cours avant la crise”, souligne le responsable des études sectorielles d’Euler Hermes. Les ventes de véhicules y avoisinaient, voire dépassaient régulièrement, les 15 millions d’unités avant 2007-2008. L’assureur-crédit considère donc que le retour au niveau d’avant-crise en Europe ne se fera pas avant six ou sept ans, une estimation d’autant plus réaliste que certains grands marchés européens sont appelés à souffrir à la fois sur 2012 et sur 2013. Et le premier d’entre eux pourrait bien être le marché français : selon Euler Hermes, les immatriculations devraient en effet reculer d’un peu plus de 11 %, à 1,95 million d’unités, en 2012 puis se contracter de 5 % l’année suivante, avec seulement 1,85 million d’unités (2,2 millions en 2011). Le marché allemand devrait de son côté tenir le choc avec de l’ordre de 3,1 millions d’immatriculations attendues à la fois en 2012 et en 2013. “Les marchés du sud du continent resteront difficiles, mais ils ont déjà enregistré des baisses très importantes sur les exercices précédents”, souligne Yann Lacroix. Bref, il semble que ce soit désormais au tour du marché français de souffrir…

*Les productions chinoises, indiennes, mexicaines et brésiliennes ont enregistré dans le même temps des croissances de respectivement 123 %, 75 %, 28 % et 14 % (- 34 % au Japon et - 22 % en Amérique du Nord dont - 20 % aux Etats-Unis).
**Elle devrait être effective d’ici à la fin 2014.

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