Entretien avec Sergio Colella, responsable du secteur auto pour Accenture
Journal de l'Automobile. Comment définiriez-vous l'industrie automobile ?
Sergio Colella. Comme un secteur dynamique, structurellement international, et comme une icône du changement. C'est le premier à avoir modifié ses process de gestion (lean manufacturing, kan-ban…), à introduire en permanence de l'innovation et des nouvelles technologies dans ses produits, et enfin à prendre en compte son environnement, comme le développement durable. Elle a su se transformer, à l'instar de Fiat aux portes de l'enfer il y a seulement 3 ans. Cette marque a effectué un vrai retournement. Elle s'est internationalisée et a diversifié ses gammes. C'est un bel exemple de réussite. A l'opposé, les américains se trouvent dans une situation difficile, résultat d'une conjonction de plusieurs facteurs aggravants : problèmes sociaux et industriels, ajouté à des conditions économiques dégradées (immobilier et Bourse). Les Big Three vont-ils résister ? Nul ne le sait.
JA. Vous dites que la croissance ne viendra pas des Triades (Europe de l'Ouest, Etats-Unis et Japon) ?
sc. En effet, les constructeurs doivent aller chercher la croissance là ou elle se trouve. Et les trois quarts de cette croissance, attendue entre 2008 et 2013, viendront de l'Europe de l'Est, l'Asie et le reste du monde. Dans 10 ans, la Chine et l'Inde seront les premiers, ils seront suivis de la Russie et du Brésil.
JA. Mais les occidentaux sont bien conscients de tous ces facteurs, et bon nombre sont déjà implantés dans les pays émergents ?
sc. C'est bien pour cela qu'ils ont encore toutes leurs cartes à jouer. Ce sont eux qui tireront la croissance, Volkswagen en tête. Actuellement, Renault y vend 33 % de sa production et Peugeot 38%, comparé à Fiat qui réalise déjà 49 %, soit la moitié de sa production. Leur marge de progression sera donc liée à leur capacité d'adaptation sur ces marchés.
JA. Vous mentionnez des flux permanents de capitaux et de compétences ?
sc. Hier, les entreprises occidentales investissaient dans les pays émergents. Aujourd'hui, les flux vont dans les deux sens. Tata rachète Jaguar et Land Rover, SAIC reprend les assets de Rover… Et puis, on assiste aussi à une bataille des ressources, tant au niveau des matières premières que des compétences. Les constructeurs recrutent à l'international leurs designers, leurs ingénieurs… Les enjeux sont internationaux, multipolaire, avec des axes d'influences en mouvement perpétuel.
JA. Diriez-vous que l'industrie automobile est complexe ?
sc. Elle l'est. L'évolution des technologies, la croissance des risques liés aux investissements, l'internationalisation des marques, les cycles de vie plus courts, les facteurs conjoncturels… tout ceci concourt à la nécessité de nouer des coopérations. BMW et Mercedes pour développer un système hybride, Peugeot et Ford pour les moteurs Diesel, Fiat et BMW pour une plate-forme de distribution aux USA, mais aussi Renault-Nissan et Mahindra en Inde pour des usines communes… La mutualisation des risques est une tendance qui n'est pas nouvelle mais qui est devenue systématique. Que ce soit en R&D, en production ou en distribution.
JA. Quel est l'état d'esprit de vos clients automobile ?
sc. Nos clients sont inquiets. La relocalisation de la production doit se faire là où sont les marchés, au plus proche du client. Produire en zone Euro pour vendre ensuite en zone dollars n'est pas toujours la meilleure solution. Les constructeurs et les équipementiers doivent aussi se repenser en interne. Il faut être efficace opérationnellement : productivité et gestion de trésorerie optimales, capacités de production flexibles… dans une conjoncture délicate, tous ces éléments participeront aussi à leur succès.
JA. Quel avenir pour l'automobile, selon vous ?
sc. Nous sommes dans un cycle. La crise arrive, elle sera sévère, mais elle aura nécessairement une fin. Une crise est toujours un bon moyen de se repenser. La crise est le meilleur moment de faire des optimisations. Dire qu'elle n'existe pas est le meilleur moyen de se décrédibiliser. Structurellement, à 10 ans, le marché de l'auto ne peut être qu'en croissance. Il faudra bien équiper le monde en véhicules, avec une demande différente mais qui redeviendra importante.
Photo : Sergio Colella, responsable automobile Accenture.
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