Fin du bonus : le secteur des flottes pris de court
La sentence est tombée. Le gouvernement a décidé de supprimer le bonus écologique pour les entreprises qui achètent ou louent des voitures particulières électriques. Cette prime, qui s’élevait à 3 000 euros pour les modèles facturés moins de 47 000 euros, fait les frais d’une redistribution des cartes.
Dans son projet de loi de Finances 2024, le gouvernement avait prévu une enveloppe de 1,5 milliard d’euros pour les aides à l’acquisition ou à la location de véhicules moins polluants. Un budget englobant, entre autres, le bonus écologique et le leasing social.
Victime du leasing social
Or ce dernier dispositif a explosé tous les compteurs. Le gouvernement avait initialement prévu de financer entre 20 000 et 25 000 dossiers. A ce jour, ce sont déjà plus de 50 000 demandes qui ont été acceptées pour un montant d’environ 650 millions d’euros. Le choix a donc été fait de couper le bonus pour les entreprises afin de respecter l’enveloppe globale.
"Il a fallu faire des choix pour rester dans l’enveloppe budgétaire de 1,5 milliard d’euros, justifie Adrien Zakhartchouk, directeur adjoint du cabinet de Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Puisque nous avons décidé de ne pas baisser le bonus pour 50 % des ménages les plus modestes, nous avons décidé de le supprimer pour les entreprises".
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Notons en revanche que le bonus écologique pour l’acquisition de véhicules utilitaires légers neufs par les personnes morales reste d’actualité, mais il baisse de 1 000 euros. Les entreprises ont ainsi droit à une prime de 3 000 euros.
La disparition du bonus pour les voitures particulières prend l’écosystème des flottes de court. Le secteur militait d’ailleurs pour un prolongement de l’aide, à l’image du courrier adressé le 7 février dernier au gouvernement français par le Climate Group, organisation à l’origine de l’initiative EV100 regroupant certains des plus grands opérateurs de flottes en France.
"Un nombre croissant d'entreprises françaises s'engagent et investissent énormément dans l'électrification de leurs flottes, et elles ont besoin du soutien du gouvernement", déclarait Sandra Roling, directrice des transports de l’ONG. Cet appel n’a pas été entendu…
Un secteur dubitatif
L’incompréhension est donc de mise pour les entreprises, qui sont régulièrement pointées du doigt pour ne pas électrifier leurs flottes assez vite. Une proposition de loi du député Damien Adam suggère d’ailleurs d’accélérer le rythme d’électrification en renforçant les objectifs fixés par la loi, tout en prévoyant des sanctions financières en cas de non-respect.
La fin du bonus ne devrait donc pas aider à aller dans le sens d’une électrification plus rapide. Le responsable de la flotte d’un grand groupe pharmaceutique, à la tête d’un parc de plus de 1 500 voitures, ne cache pas son étonnement à l’annonce de cette mesure : "C’est dommage et relativement étonnant, cela ne va pas inciter les entreprises à verdir davantage leur flotte !"
Il s’interroge également sur la cohérence du dispositif du bonus dans sa globalité. "Vous avez d’un côté la mise en place du score environnemental qui privilégie l’accès au bonus pour les voitures produites en Europe, et de l’autre la fin du bonus pour les entreprises qui remet complètement dans le jeu toutes les productions chinoises…"
Un "mauvais signal à court terme"
"C’est un très mauvais signal envoyé par le gouvernement à court terme", souligne de son côté Marc Charpentier, directeur commercial du loueur longue durée One Lease. "Personne n’est prévenu et que dire de l’éco-score qui n’aura concerné les entreprises que quelques semaines, cela n’a pas de sens !", poursuit-il.
Le constat d’Audrey Martin, consultante chez Traxall France, est très proche. "Chez Traxall, nous sommes très dubitatifs sur la suite à donner car cela va ralentir l’accélération que l’on pensait pousser sur 2024. Nous allons devoir maintenant trouver des alternatives pour compenser les coûts tout en accélérant l’électrification. Nos clients comptaient énormément sur cet avantage fiscal pour pouvoir investir dans des infrastructures de recharge et sur des moyens supplémentaires pour pousser l’électrification. Et finalement, c’est une perte d’investissement pour eux".
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Chez Arval France, Sarah Roussel estime que cette décision du gouvernement, "ne va pas encourager l’électrification des flottes. Cela va réduire mécaniquement la compétitivité des véhicules électriques par rapport aux autres motorisations, et cela ne va pas non plus accélérer le processus de décision des entreprises".
Pour la directrice générale France d'Arval, "la décision n’est pas très lisible, d’autant plus avec le nouveau bonus qui était supposé favoriser les constructeurs européens." La dirigeante tient toutefois à rassurer ses clients en indiquant qu’Arval continuerait "bien évidemment" à les accompagner dans "l’électrification de leur flotte et dans le choix des modèles électriques les plus adaptés à leurs besoins".
Appel à la vigilance de Mobilians
Les organisations professionnelles ne sont guère plus réceptives. Mobilians regrette cette suppression du bonus, "alors que 45 % des véhicules sont à l’heure actuelle achetés par les entreprises, ce qui permet une accélération du marché du véhicule d’occasion électrique, encore aujourd’hui balbutiant".
Dans son communiqué, le syndicat appelle aussi à "rester vigilant à toute mesure complémentaire qui viendrait déstabiliser l’acquisition de véhicules à très faibles émissions par les gestionnaires de flottes, à l’instar de la proposition de loi sur le verdissement des flottes actuellement à l’étude. A l’heure actuelle, il est fondamental de prendre du recul et d’éviter les effets de bord de mesures qui pourraient être contre-productives alors que les personnes morales sont un levier essentiel du verdissement du parc automobile".
Précision importante, les voitures commandées sous l’ancien bonus restent éligibles à la prime de 3 000 euros, "à condition que leur facturation ou le versement du premier loyer intervienne au plus tard le 15 mai 2024", prévient Mobilians.
Guerre des remises
Parmi toutes les réactions récoltées ce jour, certaines se veulent moins alarmistes. Stéphane Montagnon, directeur du consulting de Holson, analyse la situation avec calme. "Nous avons eu une bonne idée de ce qui allait se passer dès le début de l’année 2024. Les constructeurs dont les modèles n’étaient pas éligibles au bonus ont ajusté leur politique tarifaire, à la fois avec des baisses de prix catalogues et des hausses de remises pour les entreprises. Un premier ajustement a ainsi été effectué", retient-il.
Maintenant, son propos est que la concurrence, privée à son tour du bonus, va devoir s’adapter "avec des politiques plus agressives". Il constate déjà une amélioration des remises sur les électriques, qui peuvent atteindre 20 % chez certains constructeurs, avec une moyenne aux alentours de 15 %. "Les moins disant sont plutôt à 5 %", note-t-il. Ces derniers vont probablement devoir ajuster leur politique. A la lumière de ces éléments, il assure que les entreprises "n’avaient plus besoin du bonus !"
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Marc Charpentier (One Lease) le rejoint dans son état des lieux. "Sur le long terme, il était évident que le bonus allait disparaître. Et puis un bonus de 2 000 euros sur un contrat de LLD, c’est finalement assez peu. Ajoutez à cela le fait que les véhicules électriques sont de moins en moins chers. Certains modèles ont baissé de plus de 10 000 euros au catalogue et continuent à bénéficier d’une remise de 15 % au protocole", constate le directeur commercial.
"Les constructeurs avaient déjà été encouragés à baisser leur prix par notamment le score environnemental et ceux qui n’obtenaient pas la bonne note ont réduit leur prix facial pour pouvoir se caler sur ceux qui avaient le bonus, note également Audrey Martin (Traxall). Nous allons être attentifs sur la réaction des constructeurs sur ce point : vont-ils réévaluer leur prix ? Vont-ils tous les baisser ? Cela va être la première observation et la première analyse à réaliser".
Avec Robin Schmidt
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