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L’heure du choc des titans

Publié le 15 juillet 2011

Par Gredy Raffin
12 min de lecture
Le marché de la télématique n’est plus l’affaire de petits prestataires, mais bien le terrain de bataille de firmes multinationales surpuissantes. Constatant une montée en puissance d’entreprises de service extérieures, les grands groupes historiques se sont renforcés au cours des derniers mois. La croissance annuelle est à deux chiffres et chacun manœuvre pour en tirer profit, en France comme en Europe.
Avec l’explosion du parc automobile européen, assurer la sécurité des automobilistes pourrait être l’étape suivant celle de l’éco-conduite. Le Lavia (limiteur adapté à la vitesse autorisée) se présente comme la bonne solution, encore faut-il que les constructeurs consentent à son installation.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la géolocalisation, et les services télématiques, d’une manière générale, attisent les convoitises. En mars dernier, il suffisait d’arpenter les allées du salon SITL, à la Porte de Versailles, pour sentir l’effervescence autour de cette activité qui excite ingénieurs et investisseurs. Il n’y a plus que les boîtiers qui se dissimulent ! Les grosses sociétés, elles, s’affichent au grand jour. Surtout celles que l’on n’attendait pas forcément.

Partir de son cœur de métier et s’entourer de compétences, en vue d’élaborer des offres packagées de services de gestion de flotte, est devenu monnaie courante. Un procédé qui se solde par un succès pour quelques-uns, dont TomTom Business Solutions (anciennement TomTom Works). En l’espace de six ans, le spécialiste de la navigation est parvenu, à la force d’une croissance organique, à se tailler une part significative dans le paysage, avec à ce jour 150 000 véhicules équipés en Europe (environ 7 % de parts de marché).

La société néerlandaise maîtrisait initialement le logiciel de guidage et la cartographie - via Tele Atlas -,  il ne restait qu’à savoir fournir des boîtiers de remontée de données et la plate-forme d’interface. Pour les coûts de communication, son partenariat européen avec Vodafone a permis la construction d’une offre globale, standardisée et prête à l’utilisation. La gestion de 125 000 véhicules, qui effectuent 500 000 trajets, soit 500 000 heures de conduite et 25 millions de kilomètres parcourus, et le transfert de 50 000 messages entre les conducteurs et leur commanditaire, c’est désormais le quotidien des serveurs de TomTom Business Solutions en Europe.

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France Telecom, par l’intermédiaire de sa filiale Orange Business Services, a suivi un parcours similaire : “Notre idée était d’aller plus loin en offrant des services qui vont au-delà du métier d’opérateur”, explique Jean-Yves Tallois, directeur marketing de business unit fleet. Il se présente comme “l’un des rares groupes à vouloir se développer dans le Machine-to-Machine”. Il y a cinq ans, Orange ne contrôlait que le transfert de données. Depuis, elle a racheté son fournisseur de boîtiers, Data Mobile, en 2009, et a collaboré avec Kuantic et Mobile Device. La cartographie provient de chez Navteq, encore un partenaire fort, tandis que la plateforme et le logiciel ont été développés et sont hébergés en interne. “Gérer et administrer un gros volume de matériels mobiles, mais également de factures, est notre spécificité naturelle. On se différencie sur ce point crucial”, se félicite Jean-Yves Tallois.

Autre exemple significatif de cette évolution verticale : Continental VDO, dans l’univers du transport. L’équipementier est sorti de son périmètre d’intervention, la remontée de données sociales, et a lancé Tis-Track&Trace, un boîtier relais vers une interface, qui ajoute une couche intelligente permettant la gestion de plusieurs facteurs en même temps, dont la géolocalisation et l’archivage des informations sur serveurs sécurisés externalisés. 

Cette tendance se retrouve également chez les acteurs historiques. Eux aussi, en réponse à cette nouvelle concurrence pour le moins pertinente, ont pris leurs dispositions en acquérant toujours plus de compétences. “Ce sont les clients qui l’ont réclamé, observe Gilles Baranger, directeur technique de Continental VDO. Nous ne faisons que répondre à leur demande de simplicité, et leur désir d’avoir un interlocuteur unique.”

Le club des quatre

On assiste, en fin de compte, à une course à la restructuration. Il faut être rapidement et durablement opérationnel, sur un marché aux perspectives prometteuses. Le cabinet d’études Berg Insight en est du moins convaincu. Selon ses prévisions, avec un taux de croissance annuel de 20,7 %, “la base installée de systèmes de gestion de flotte atteindra 5 millions d’unités en Europe en 2015”, contre 2 millions au terme de 2010. Le cabinet estime que le contexte de reprise économique favorisera le déploiement de solutions, tout comme l’essor des technologies informatiques mobiles, qui voient leur coût d’usage baisser en même temps que leur performance augmente, séduisant toujours plus les utilisateurs. Le taux de pénétration auprès des véhicules d’entreprise devrait donc passer de 6,9 à 17,6 % entre 2010 et 2015. Non négligeable, en regard des volumes que représente cette catégorie : en 2008, dans la zone Europe des 23 + 2 pays, on recensait officiellement 35,5 millions de véhicules commerciaux, dont 28,6 millions de VUL, 6,2 millions de poids lourds (soit plus de 75 % des transports terrestres et 250 milliards d’euros de chiffre d’affaires) et 700 000 bus et autocars.

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Apporter du service à tant d’interlocuteurs potentiels nécessite des ressources, alors on se regroupe, ou bien on a recours à la croissance externe : “La tendance à la consolidation s’accélère parmi les fournisseurs de systèmes de gestion de flotte, rapportait récemment Johan Fagerberg, analyste senior chez Berg Insight. Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons vu neuf grandes fusions et acquisitions sur le marché de la gestion de flotte européenne, formant un paysage nouveau” (Voir encadré). Si les experts jugent qu’il y a un peu de “surpopulation” chez les fournisseurs, on identifie désormais quatre acteurs principaux en tête d’affiche, les seuls à avoir passé la barre des 100 000 dispositifs en circulation. Un club où l’outsider, TomTom Business Solutions, s’assoit aux côtés de Trimble et Digicore, mais surtout de Masternaut, le géant qui compte plus de 200 000 unités à ce jour. Un géant aux pieds d’argile, se murmure-t-il en coulisse. “Sinon, comment expliquer les rachats successifs”, s’interroge un observateur. Deux opérations de reprise en l’espace de trois ans, cela fait jaser. “L’acquisition par Francisco Partners sonne un peu comme une opération de la dernière chance, car les Américains ne seront pas aussi cléments que les précédents investisseurs, si l’entreprise ne rapporte pas”, commente un des concurrents. Pourtant, il faut noter que Masternaut est peut-être le seul à être dimensionné à la hauteur de la tâche qui l’attend, à savoir assurer son leadership dans une demi-douzaine de pays européens.

Orange et un fournisseur de PND

A échelle moindre, celle de l’Hexagone, la rivalité n’en est que plus exacerbée. En plus des têtes de série, on dénombre une centaine de fournisseurs locaux, certains, indéboulonnables, tant ils se sont spécialisés dans un corps de métier ou se sont implantés dans une région. Mais, là encore, des concentrations sont à prévoir. Orange ne s’en cache pas. “Il y aura des rachats à court terme, nous en avons les moyens”, révèle Jean-Yves Tallois. L’opérateur, qui totalise à ce jour une flotte de 40 000 équipements en France (soit 3 000 comptes clients) et de 2 000 au Maghreb et Afrique noire francophone, ambitionne “d’égaler le niveau de Masternaut avant sa fusion avec Cybit”, pour se positionner en leader français et parmi les cinq premiers européens. Il préparerait même une association avec un “grand faiseur” de PND, au travers d’un rapprochement technique et marketing, afin d’élaborer une offre standardisée. Nombreux sont les noms sur la liste, mais il est difficile de ne pas pencher pour Garmin, qui détient dans sa gamme un produit dédié aux gros véhicules, qui a présenté un petit module de traçage en début d’année et qui cible volontiers les parts de TomTom. Une hypothèse réfutée par Eric Bernard, le directeur général France de Garmin. “C’est un marché compliqué et, même si nous avons les ressources, rien ne peut se faire sans partenaire, car il n’existe aucune solution miracle capable d’adresser tous les marchés”, s’est-il contenté d’avancer.

“Il y a environ 4,5 millions de véhicules professionnels en France et 250 000 seulement ont installé un boîtier, soit 5 % à peine, le potentiel est donc énorme”, entrevoit Eric Hubert, directeur commercial France de TomTom Business Solutions. Des propos corrélés par Jean-Yves Tallois, du marketing d’Orange, qui tient néanmoins à nuancer : “50 % de ce parc ne sera jamais équipé.” “les TPE n’ont pas de directeur de service informatique (DSI) ou de chef de projet pour mener à bien des stratégies de géolocalisation, ce qui freine les ventes”, regrette Eric Hubert.

Philippe Orvain, président de Nomadic Solutions, capte toutefois des signes avant-coureurs d’un changement : “Les réseaux sociaux et la mobilité grand public ont participé à la banalisation du concept. L’utilisateur ne se sent plus espionné, car il comprend peu à peu qu’il est bénéficiaire d’un service à valeur ajoutée. Il n’y a qu’à regarder la montée en puissance de la publicité géolocalisée.”

Les prochains usages que l’on fera de l’automobile réclameront, de toutes les manières, de la géolocalisation, s’accordent à dire tous les acteurs, confiants dans l’avenir. Ils misent notamment sur l’auto-partage, grand public ou en entreprise.

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La télématique et la chasse au gaspillage

Depuis deux ans, l’éco-conduite est à la mode. Pourquoi ? Pour des raisons évidentes d’économie, certes, mais pas seulement. Du point de vue des prestataires, ce service constitue une carte de visite passe-partout puisque cela met l’accent sur la remontée de données et non sur la géolocalisation. Ce que les utilisateurs sont plus enclins à accepter. “L’éco-conduite a sensibilisé toutes les entreprises”, juge Philippe Orvain. “La technologie d’éco-télématique est un levier de croissance indéniable”, confirme Ludovic Boutet, responsable projet grands comptes du Groupe Traqueur. Et Lionel Chevallier, consultant senior chez Steria, de commenter : “Le poste carburant représente environ 25 % des dépenses, l’éco-comportement a dépassé le stade de l’effet de mode, pour s’imposer comme une nécessité.” Ce dernier rappelant qu’il faut dix ingénieurs à plein temps pendant quatre ans, pour modéliser et tester un logiciel d’éco-conduite.
 
Mais phénomène de mode ou non, le concept pourrait s’essouffler s’il n’est pas rafraîchi. A chacun sa version du service qui, de fait, n’est plus vraiment différenciant. “Il est possible d’aller plus loin, si on considère qu’à ce jour nous n’exploitons que la moitié des données remontées par le Can-Bus, le réseau embarqué des voitures modernes”, affirme Serge Gauteron, directeur des ventes de Qualcomm. Chez Continental VDO, les ingénieurs s’affairent. “Avoir les données des tours/ minute ou un détecteur de fuite de carburant s’inscrit dans la suite logique de l’éco-conduite”, affirme Gilles Baranger. “Les entreprises de BTP sont dans une démarche de chasse au gaspillage, remarque Ludovic Boutet, ils veulent, par exemple, des outils afin de réduire le temps passé où le moteur tourne sans rouler.”

A la rentrée, Orange prendra le sujet à bras-le-corps et lancera une offre packagée avec le matériel et le programme de formation qui inclut le suivi du conducteur dans le temps. “Les deux sont indissociables, nous devons donc les vendre comme un tout”, argue Jean-Yves Tallois.

Le client professionnel assiste à un jeu de surenchère. La notion “Full service” enjolive le discours tenu sur toutes les plaquettes commerciales. “Peu d’entreprises conçoivent des solutions réellement complètes”, jure-t-on pourtant chez Qualcomm. Il est en effet difficile de balayer l’ensemble des possibilités existantes à un instant donné, bien “qu’en full Web, les services évoluent assez vite”, assure Serge Gauteron.

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Quel est le bon prix ?

La bataille glisse donc sur le terrain du prix. Et ce sujet provoque des réactions épidermiques. “Ce n’est pas moi, ce sont les autres”, devient presque la réponse de mise. Quel est le vrai prix d’une solution de services télématiques. “Tout dépend de l’entreprise, de son secteur d’activité, des options retenues”, répond-on de concert. “Mais les marges, en valeur absolue, ont reculé”, note Philippe Orvain, de Nomadic Solution, qui se maintient grâce à l’entrée en jeu de nouveaux acteurs tel G2Mobility. Chez Steria, on se rappelle qu’il y cinq ans, les tarifs du marché étaient en moyenne de 35 à 40 euros/ mois/ véhicule. Puis, il y a deux ou trois ans, ils étaient de 30-35 euros en moyenne. “Aujourd’hui, ils sont à 25 euros/ mois/ véhicules”, s’inquiète Lionel Chevallier.

“C’est un tarif jugé encore trop élevé par les loueurs qui ne souhaitent que récupérer la donnée kilométrique”, conteste le directeur commercial de TomTom Business Solutions, Eric Hubert. Comment interpréter alors l’offre à 13 euros mensuels pour des fonctions basiques de gestion de flotte proposée par Traqueur ? Devant tant de différence, le client s’y perd et c’est compréhensible. Chez Masternaut, où le panier moyen serait de 35 à 40 euros par mois, selon Frédéric Dupeyron, son président, on refuse d’avancer un tarif minimum à ne pas franchir. “Il y a un prix plancher sous lequel on ne passer, estime-t-on chez Orange, car nous avons des structures d’outils et de services lourdes à financer pour assurer un suivi de qualité.” L’opérateur est pourtant l’objet de reproches de toutes parts. Accusé par ses pairs de “casser” les prix sur les dossiers stratégiques, en vue de tenir son objectif de 40 % de pénétration en France en 2015, l’opérateur se défend : “Nous avons une offre à moins de 20 euros mensuels qui ne comprend que le rapport d’activité. Ensuite nous jouons sur les mensualités pour lisser dans le temps, ainsi que nous le demandent nos clients.”

Il est vrai que la filiale de France Telecom a repris le même modèle économique que dans la téléphonie mobile, à savoir un simple abonnement, sans recourir à un organisme financier tiers qui prendrait des intérêts. Elle est ainsi la seule à maîtriser le poste important de dépense qu’est le transfert de data. “Entre un pointage par jour et un pointage par minute les télécommunications nous coûtent 2 à 3 fois plus”, explique un prestataire. Un autre confiait récemment que, longtemps, les fournisseurs ont appliqué des marges allant au-delà du raisonnable et que l’on assiste à une naturelle remise à niveau. Peut-être est-ce là, la vérité.

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