Les professionnels misent sur l'hydrogène
Par Ambre Delage
À l’origine, il y avait le véhicule thermique. Mais, devant l’inévitable réchauffement climatique, l’Europe a décidé de sonner le glas du diesel et de l’essence, en tout cas à partir de carburants fossiles, pour se tourner vers des solutions alternatives. Mais depuis son plan de relance post Covid, dévoilé le 8 septembre 2020, le gouvernement français fait désormais la part belle à la mobilité hydrogène et à l’ensemble de la filière.
L’idée : favoriser le développement des véhicules à pile à combustible (fuel cell). Et sur ce coup‑là, la France ne lésine pas : les fonds publics destinés à la filière hydrogène s’élèveront à 7,2 milliards d’euros d’ici à 2030. Avec ce nouveau plan, le gouvernement conforte une stratégie initiée dès 2018 par Nicolas Hulot. Ce dernier avait alloué une enveloppe de quelque 100 millions d’euros au déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique.
Depuis, tout s’accélère. Et pour cause : "On ne peut pas aller sur la fin du thermique en ne se focalisant que sur une seule solution. C’est l’usage et la technologie qui vont déterminer l’attrait et le choix d’une énergie ou d’une autre. Et du coup, cela permet d’affirmer que dans une première phase de développement, le véhicule à hydrogène répond à des usages auxquels le véhicule électrique ne répond pas", estime Valérie Bouillon‑Delporte, vice‑présidente de France Hydrogène.
En effet, les quelques véhicules à hydrogène déjà présents sur le marché le prouvent. Leur autonomie est bien plus importante que celle d’un électrique à batterie (de l’ordre de 600 km), leur temps de recharge est bien plus court (2 à 5 min) et ils présentent les mêmes avantages qu’un VE, soit aucun bruit et aucune émission. Mieux : "Si vous transportez des charges lourdes, l’hydrogène, qui est plus léger qu’une batterie, permet d’embarquer plus d’énergie, donc d’avoir plus de volume de charge disponible", insiste Jean‑Michel Amaré, président et fondateur d’Atawey. Moralité, c’est en toute logique du côté des professionnels que tend à se développer l’hydrogène.
Une massification qui débute par les pros
Le dernier Mondial de l’automobile à Paris a permis à de jeunes start‑up (Hopium et NamX) de dévoiler de somptueuses berlines à hydrogène. Mais c’est plutôt sur les véhicules utilitaires légers que les constructeurs misent pour développer cette motorisation. En témoigne l’entreprise Hyvia, née d’une joint‑venture entre Renault et Plug Power en 2021. Hyvia ambitionne déjà de devenir le leader de la mobilité décarbonée en proposant un écosystème complet (véhicules et infrastructures) bâti autour de l’hydrogène.
"Les éléments réglementaires s’ajoutent à l’urgence climatique et l’hydrogène peut vraiment contribuer à l’effort collectif. Nous avons donc lancé une gamme ambitieuse avec le Master Van H2‑Tech que l’on va compléter avec un City Bus mi‑2023 et un châssis cabine pour la mobilité intensive pour fin 2023. La stratégie est d’avoir 30 % de part de marché d’ici à 2030. Nous nous attaquons aux VU, car c’est un secteur sur lequel l’hydrogène fait sens. Il répond à un usage intensif que ne satisfait pas l’électrique à batterie", explique Mehdi Ferhan, COO de Hyvia.
Et la multiplication des zones à faibles émissions (ZFE) dans les agglomérations ne devrait pas venir démentir l’intérêt de l’hydrogène pour un usage intensif professionnel. D’ailleurs, certaines compagnies de taxis l’ont déjà compris depuis longtemps.
À l’instar de la société Hype qui exploite la plus grande flotte de taxis à hydrogène au monde avec près de 200 véhicules circulant à Paris. Ajoutez à cela la jeune entreprise HysetCo qui, l’année dernière, a distribué, selon Loïc Voisin, son PDG, "100 tonnes d’hydrogène à des clients qui sont majoritairement des taxis, soit l’équivalent de 40 000 pleins". De quoi imaginer sans mal que la capitale, selon France Hydrogène, comptera plus de 1 000 taxis à hydrogène d’ici moins de 2 ans. Ce qui va sacrément dynamiser le marché.
Une filière qui se structure
D’autant que les véhicules à hydrogène présentent bien d’autres avantages, économiques et structurels. Prenons les véhicules à batterie, technologie connue et éprouvée depuis plus de 20 ans d’un côté, et les véhicules à hydrogène, moitié moins âgés. Les premiers ont bénéficié d’une campagne de promotion sans égale de la part de l’ensemble des pouvoirs publics, européens comme français.
Pour preuve : selon la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports), le coût du soutien à l’électromobilité par la puissance publique pourrait s’élever de 9 à 12 milliards d’euros par an en 2030 (en estimant à 5 ou 7 millions le nombre de véhicules électriques à batterie dans le parc). Soit 1,3 fois le budget total du ministère de la Justice (8,9 milliards d’euros en 2022).
Une ambition de 225 stations en 2025
Pourtant, si les véhicules font florès sur le marché, les infrastructures, elles, peinent encore à se développer. En décembre 2022, l’Hexagone était doté de 77 318 bornes de recharge, soit 115 pour 100 000 habitants… Loin des 100 000 prévues pour la fin 2022. Et l’on ne compte plus les témoignages d’automobilistes mécontents, régulièrement confrontés à des bornes inutilisables. À l’inverse, pour l’hydrogène, les véhicules sont, pour l’heure, peau de chagrin. Mais les bornes se multiplient comme des petits pains. Une stratégie qui va à l’inverse de celle utilisée pour le déploiement de l’électromobilité en somme. Toutes proportions gardées bien sûr.
Ainsi, pour Jean‑Michel Amaré : "Ce sont environ 60 stations d'hydrogène qui sont implantées. Au début dans une logique de déploiement dans les villes pionnières portées par des décisions politiques et aujourd’hui, nous sommes davantage sur des réseaux qui se déploient, par exemple, en Auvergne‑Rhône‑Alpes via Zero Emission Valley. Concrètement, l’ambition en France est de monter, à l’horizon 2025, à plusieurs centaines de stations déployées (225) et 1 350 d’ici 2030."
Si les chiffres ne semblent pas fous, de prime abord, il faut garder en tête qu’il n’existe, pour l’heure, que deux véhicules à hydrogène sur le marché : la Toyota Mirai et le Hyundai Nexo… de l’artisanat encore plus que de la niche ! Et, à date, à peine 600 de ces véhicules circulent sur les routes de France. 600 véhicules à hydrogène et 60 stations disponibles, soit 10 véhicules pour 1 station qui fait le plein en à peine 5 min.
L’hydrogène gagne le match
Proportionnellement, donc, en termes d’infrastructures, l’hydrogène gagne le match par rapport à l’électrique. "Cela fait plus de 20 ans que les véhicules électriques à batterie existent. Pour l’hydrogène, nous avons fait les premières expérimentations en 2015 et aujourd’hui, la filière se structure de la production à l’offre. Le plan n’est pas d’opposer les technologies. Mais comme le développement de l’hydrogène commence par les professionnels, nous connaissons 90 % des trajets qui sont réalisés. Et une fois que l’infrastructure est en place, tout va plus vite. D’autant que, in fine, cela coûte moins cher de faire des stations qui proposent hydrogène et électricité. Dans un parc, si vous introduisez 10 % d’hydrogène, cela fait baisser de 20 % le coût d’infrastructure, car il faut raisonner en coût au kilomètre délivré. Une borne d’hydrogène va être plus rapide, donc on charge plus de véhicules, soit plus de kilomètres délivrés par jour, CQFD ! ", calcule Valérie Bouillon‑Delporte.
Mais quoi qu’il en soit, une station hydrogène est un équipement collectif plus rentable qu’une borne de recharge, car le "plein" est plus rapide.
Pour les flottes de "gros rouleurs ", les stations de charge d’hydrogène ne seront même plus une utopie in situ. En effet, pour Jean‑Michel Amaré : "Demain, il sera possible d’avoir ces stations dans les entreprises comme certains transporteurs ont déjà leur propre station d’essence. Certes, les plus petites stations coûtent environ 400 000 euros et cela peut aller jusqu’à plusieurs millions d’euros selon la capacité des équipements, le type de véhicules utilisés ou si la station fabrique de l’hydrogène ou pas. Mais quoi qu’il en soit, une station hydrogène est un équipement collectif plus rentable qu’une borne de recharge, car le "plein" est plus rapide."
Côté coût d’usage, enfin, l’hydrogène est aujourd’hui à 15 euros le kg. Sachant qu’il faut environ 6 kg pour faire le plein d’une Mirai (soit 600 km d’autonomie), cela équivaut actuellement au prix d’un plein d’un véhicule dont le réservoir est d’un volume identique à celui d’une… Toyota Yaris (50 l) !
L’écueil du prix
À l’usage, donc, les véhicules à hydrogène présentent une multitude d’atouts. En revanche, leurs tarifs font encore grincer quelques dents. Deux modèles sur le marché, c’est peu, très peu. Et les jolis joujoux présentés au Mondial, dont le prix d’appel ne se situe pas en dessous de 80 000 euros, ont de quoi calmer les ardeurs. Surtout lorsque l’on sait, si l’on ose encore faire quelques comparaisons, que les véhicules électriques à batterie continuent, malgré la massification du marché, à être vendus, eux aussi, à des tarifs plutôt élevés.
L’hydrogène sera‑t‑il soumis au même écueil du prix des véhicules ? Cela pourrait‑il représenter un frein à son développement ? Soyons honnête : entre le monde d’aujourd’hui et celui où la mobilité décarbonée sera reine, il y aura forcément, c’est un fait, une sorte de parenthèse pas franchement enchantée durant laquelle les nouvelles énergies et technologies seront plus chères que celles auxquelles nous sommes habitués.
Pour autant, les acteurs de l’écosystème hydrogène envisagent un retour à des coûts acceptables dans des délais très courts. Et pour cause, nombre de constructeurs s’emparent aujourd’hui du dossier hydrogène : Stellantis, Hyvia, BMW, Mercedes‑Benz… "C’est encore cher, c’est vrai, mais la massification va aller plus vite que sur le véhicule électrique à batterie. Par exemple, quand Stellantis a annoncé la production de sa première série de VUL à hydrogène sur son site d’Hordain (59), il s’agissait de 1 000 véhicules. Dès 2024, la capacité de fabrication sera montée à 5 000 unités pour atteindre, au final, 30 000 véhicules à hydrogène par an. Donc, forcément, le prix ne sera plus le même. Et nous savons que 40 000 à 50 000 unités produites par an permettraient de se rapprocher du prix d’un véhicule diesel ", argumente Valérie Bouillon‑Delporte.
Perspectives de développement
Le marché automobile est un marché de volume. Et plus les volumes produits sont importants, plus les constructeurs peuvent jouer la carte des économies d’échelle. "La première génération de la Mirai de Toyota en 2018, par exemple, était commercialisée à partir de 78 000 euros. La nouvelle génération, qui est bien plus haut de gamme, est à 66 000 euros. La baisse est donc significative", illustre Loïc Voisin.
Et si les perspectives de développement sont aussi rapides, c’est justement parce que la filière hydrogène ne part pas de zéro. Les efforts produits sur les véhicules électriques à batterie lui ont ouvert la voie. Comme l’explique Mehdi Ferhan : "Nous avons l’expérience de l’électrique avec Renault et Plug Power. Cela nous permet d’aller plus vite. Par exemple, en un an et demi, nous avons créé un véhicule à hydrogène, alors qu’en théorie, le développement d’un véhicule prend 3 ou 4 ans. Sans compter que l’hydrogène entre dans la catégorie des véhicules électriques, donc nous ne réinventons pas une filière, nous nous appuyons sur de l’existant. "
De quoi imaginer sans peine de réaliser les projections de France Hydrogène qui vise plus de 300 000 véhicules à hydrogène sur les routes en 2030 et un prix du gaz au kilo de 7 euros au maximum. Une envolée rapide et efficace et, surtout, de quoi permettre à la France de se réapproprier une chaîne de valeur complète autour de l’hydrogène : de la fabrication des systèmes à la production et à la fourniture du gaz. Tout cela pour les mêmes avantages que les véhicules thermiques, mais sans le bruit, les odeurs et la pollution…
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