Électrification : se hâter avec lenteur ?
En matière de transition énergétique, sur le papier, tout est en ordre de marche. Le diesel, autrefois motorisation-reine des flottes automobiles d’entreprise et du parc automobile français en général, est en voie d’extinction dans les achats de véhicules neufs. Fin avril, il représentait 13 % des immatriculations (de véhicules particuliers) des entreprises et 7,6 % de celles des ménages.
Toujours dans les entreprises, les immatriculations de modèles 100 % électriques dépassent depuis le mois de février celles en diesel. Pour la première fois, sur le 1er trimestre 2024, il n’y a plus aucun modèle roulant au gazole dans le Top 10 des véhicules particuliers les plus immatriculés par les entreprises, les loueurs longue durée et les administrations. Enfin, et ce n’est pas anecdotique, la part de marché des modèles électrifiés (c’est-à-dire ceux roulant en 100 % électrique ou en hybride rechargeable) est proche de 30 %, soit au-dessus de l’obligation fixée par la LOM aux entreprises (20 % en 2024) en matière de renouvellement de leurs parcs en véhicules émettant moins de 50 g/km de CO2.
Comment, dès lors, expliquer cette inquiétude qui, mois après mois, semble peu à peu saisir constructeurs, politiques, observateurs, ONG ? Il reste encore dix ans avant la date fatidique de 2035 et l’interdiction des ventes de modèles thermiques en Europe. Les constructeurs se sont pliés aux règles de Bruxelles et ont joué le jeu en investissant des milliards d’euros pour changer leur stratégie industrielle, électrifier leurs gammes et être en capacité de sortir des énergies fossiles en 2030. Des usines de batteries "made in France" sortent progressivement de terre, tout comme des sites de recyclage de ces mêmes batteries, pour espérer s’affranchir d’une totale dépendance à la Chine.
L’électrification est donc bien en marche, peut-être pas aussi vite que certains le voudraient ou l’imaginaient, mais de là à dire qu’elle est en panne, c’est peut-être aller un peu vite en besogne. Car il faut aussi comprendre les clients finaux, ménages comme entreprises, sans doute quelque peu désabusés par le spectacle qui leur est proposé. On leur a promis "la lune" avec des voitures électriques faciles à conduire, peu onéreuses en entretien, que les assureurs adoreraient assurer…
Au lieu de cette promesse, ils assistent à un autre spectacle : des marques qui retardent certains de leurs investissements dans l’électrique ; des politiques qui entendent durcir une réglementation déjà punitive pour les énergies fossiles tout en supprimant les aides à l’achat de modèles électriques ; des experts qui annoncent des tensions fortes sur les métaux critiques ; des prix des modèles qui ne cessent de s’envoler ; des interrogations sur le coût des réparations des batteries. Sans compter les débats sans fin autour de l’invasion de voitures chinoises en Europe, et la réponse pas toujours limpide des constructeurs face à cette déferlante annoncée, à l’instar de l’alliance commerciale et industrielle entre Stellantis et Leapmotor.
Il y a de quoi s’y perdre pour l’automobiliste ou le chef d’entreprise qui, bien que sûrement tous deux entièrement acquis à la cause environnementale, surveillent aussi leurs finances et ont besoin de visibilité et de pérennité des dispositifs, avant de faire leurs choix.
Finalement, c’est l’éditorialiste des Échos, Eric Le Boucher, qui a trouvé les mots justes pour résumer la situation. "Ils (NDLR : Bruxelles) ont voulu nous rendre propres et faire de nous un modèle pour le monde entier. Le tort n'est pas dans l'objectif, très nécessaire en effet, mais dans la façon aveugle, c'est-à-dire irréfléchie, de le réaliser (…) L'obligation de passer à la voiture électrique en 2035 dans l'Union européenne a été prise sans aucune analyse des conséquences économiques, sociales, géopolitiques (…) Cette politique affreusement mal bâtie aboutit à la contestation de la voiture électrique par les automobilistes : le marché ne décolle pas". (1) Comme quoi l’adage "rien ne sert de courir, il faut partir à point" reste, malgré ses 356 printemps, toujours d’actualité.
L’Arval Mobility Observatory
(1). "La non-compétitivité européenne ? Regardez l'automobile", Les Echos, 19 avril 2024. https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-non-competitivite-europeenne-regardez-lautomobile-2089850
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.