La (très) longue marche de la transition écologique
On reproche souvent aux politiques ou aux économistes qui les conseillent, de changer d’avis ou de cap au rythme des saisons et des événements. Cette critique peut difficilement s’appliquer à Jean Pisani-Ferry, ancien commissaire général de France Stratégie.
Dès le mois d’août 2021, alors que la France sortait tout juste de la crise sanitaire de la Covid-19, ce dernier lançait un pavé dans la mare : la transition écologique va être "brutale, bien plus qu’on ne l’imaginait", écrivait-il dans une note publiée par le Peterson Institute for International Economics, un cercle de réflexion basé à Washington (1).
A l’époque, les sujets d’inquiétude étaient autres et son avertissement était passé au second plan des urgences gouvernementales ; 2030 et plus encore 2050, c’était loin. Pourtant, tous les ingrédients d’un énorme chambardement économique (et social) étaient déjà présents dans ce rapport : nécessité d’accélérer les investissements durables, obsolescence d’une part importante des équipements, aggravation des déficits publics, enjeux massifs de formation.
"Une stratégie climat remet nécessairement en cause toute une partie de ce qui fait notre potentiel de croissance aujourd'hui", lançait-il, alors que l’on suivait davantage la courbe des hospitalisations en réanimation, les impacts de la pandémie sur l’activité économique, les pénuries de matières premières et autres semi-conducteurs.
Deux années après, la Covid-19 et ses variants n’occupent plus le devant de la scène. A l’inverse de l’urgence climatique, laquelle s’impose chaque jour un peu plus comme une priorité, au rythme des inondations, incendies, sécheresses et autres catastrophes naturelles. Le président Macron et son gouvernement sont ainsi contraints de réadapter leur Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC3) et de fixer de nouveaux efforts.
Jean Pisani-Ferry quant à lui, persiste et signe : le rapport qu’il vient de remettre au gouvernement Borne réaffirme ce qu’il disait déjà en 2021 et le cap à suivre. "L’ambition pour 2030 est de faire en dix ans ce qu’on a fait en trente, mais sans compter sur la délocalisation des secteurs intensifs en carbone et au contraire en réindustrialisant la France. Cela représente un rythme de réduction de près de 5 % par an (NDLR des émissions de gaz à effet de serre), près de trois fois plus rapide que celui observé depuis 2010". (2)
Alors que consommateurs et constructeurs s’interrogent depuis plusieurs jours sur quels véhicules électriques pourront continuer à bénéficier d’un bonus de 5 000 ou 7 000 euros à l’achat ou à la location à compter de l’an prochain, le nouveau rapport Pisani-Ferry prévient que "l’automobile va subir un choc particulièrement violent" d’ici 2030. Les atermoiements européens autour de l’utilité de la norme Euro 7, qui va renchérir le coût des véhicules thermiques à partir de 2025, paraissent aussi quelque peu "hors sol". Car les investissements supplémentaires pour conduire cette transition écologique dans les dix ans à venir se chiffrent pour l’économie française, selon ce rapport, à 66 milliards d’euros par an à l’horizon 2030.
Comment financer de tels coûts en limitant au maximum les impacts économiques et sociaux, sans quoi l’acceptabilité de l’opinion publique risque de faire défaut ? "Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part, appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu", prévient l’économiste.
Comment éviter un décrochage social, que l’on voit déjà poindre avec l’avènement des ZFE et l’exclusion des centres-villes des propriétaires de véhicules anciens et polluants, incapables de s’équiper en véhicules électrifiés ?
L’essor de la voiture électrique constituera l’une des clés de voûte du programme français vers le zéro carbone. Le gouvernement Borne l’a réaffirmé cette semaine ; mais là encore, le terrain à parcourir nécessite des Bottes de sept lieues, puisque la voiture à batterie devra représenter 15 % du parc automobile en 2030, contre 1,2 % aujourd’hui…
L’Arval Mobility Observatory
(1). "Jean Pisani-Ferry : La transition écologique va être brutale, bien plus que l'on imaginait". Les Echos, 24 août 2021.
(2). "Les incidences économiques des actions pour le climat". Jean Pisani-Ferry, Selma Mahfouz. France Stratégie. Inspection Générale des Finances. Mai 2023.
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