Stéphane Crasnier, Alphabet : "Nous avons pris 33 000 commandes en 2021, notre record"
JdF : De grandes manœuvres sont en cours entre acteurs de la LLD. Quel regard portez‑vous sur ces opérations ?
S.C. : Cela prouve que la LLD a le vent en poupe et génère une forme d’appétit chez les investisseurs, en particulier du côté des banques, en s’associant à un constructeur en le faisant en propre. Ce qui se passe en ce moment est en quelque sorte un mouvement de concentration du marché, le mariage entre ALD et LeasePlan va créer un géant de la location longue durée. C’est bien car cela fait une locomotive, ce qui est plutôt intéressant pour notre industrie. Après, pour nous en tant qu’Alphabet, cela n’a pas ou peu d’impact, dans la mesure où nous avons un positionnement qui est très clair. In fine, le fait que deux géants s’associent ne viendra pas perturber notre feuille de route.
JdF : Quels changements risque‑t‑il d’y avoir pour les clients ?
S.C. : C’est vrai que jusqu’à présent, vous aviez cinq grands loueurs multimarques avec Arval, ALD, LeasePlan, Athlon et Alphabet. Demain, avec la réalisation de la fusion, il n’en restera plus que quatre. Est‑ce que ce nombre permet une véritable concurrence sur le marché ? Je pense que oui, notamment pour les très grands comptes. Après, vous avez le Crédit Agricole qui va arriver avec Stellantis en 2023, ce qui ajoutera un nouveau player sur le marché, même s’il ne sera pas nécessairement focalisé sur les grands comptes. Un acteur sort, un autre rentre.
Nous réalisons sans doute nos meilleures années
JdF : Quelle analyse faites‑vous du marché automobile en 2021 ?
S.C. : Il a été fortement perturbé par deux éléments. Le premier a été le Covid et tous ses dommages col‑latéraux, comme la pénurie des semi‑conducteurs. Cela a pas mal déséquilibré le marché, mais aussi les clients. Ces derniers avaient besoin de véhicules et de visibilité sur du court et moyen terme. Leurs principales interrogations étaient comment je dois remplacer mes voitures et par quoi... Là‑dessus, est venue s’ajouter pour ces clients une réglementation de plus en plus complexe. Les constructeurs doivent eux aussi s’adapter à ces régulations et offrent de ce fait une diversité inédite de moteurs avec de l’essence et du diesel, mais aussi de l’hybride, du micro‑hybride, de l’électrique ou du flexfuel. La somme de tout cela fait que le marché a été très chahuté.
JdF : Pourtant, le marché BtoB a été plutôt positif !
S.C. : Il s’est effectivement plutôt bien adapté à tout cela. Il n’y a pas eu trop de casse. Les loueurs longue durée, dans ce schéma‑là, se sont plutôt bien comportés. Nos produits sont hyperflexibles. Du coup, si un client est incertain sur ses livraisons, il peut étendre ses contrats. S’il a besoin d’une voiture rapidement pour un collaborateur qui vient d’arriver, il a de la location moyenne durée. S’il a besoin d’ultramobilité, il a aussi de la courte durée avec son loueur longue durée.
JdF : Et Alphabet dans tout ça ?
S.C. : Si je zoome sur Alphabet, tout le paradoxe est que dans ce monde complexe et incertain, nous réalisons sans doute nos meilleures années. N’y voyez aucun cynisme, cela concerne d’ailleurs tous les loueurs longue durée. En 2021, nous avons pris 33000 commandes, il s’agit de notre record. La demande s’est notamment accélérée sur la fin du second semestre. Bien qu’ils soient dans l’incertitude, les clients sont obligés à un moment donné de passer commande.
Notre recommandation a été de commander car quoi qu’il arrive, il y aura un besoin d’automobiles et quoi qu’il arrive, les voitures vont être produites.
JdF : Qu’en est‑il des délais de livraison ? Quelle attitude adoptent les clients et que préconisez‑vous ?
S.C. : Vous avez trois options. Soit vous décidez de passer commande et de patienter. Dans ce cas, pas de problème. Soit vous avez passé commande et vous n’êtes pas patient et vous vous dirigez vers une autre marque et une autre voiture. Soit vous ne passez pas commande. Notre rôle par rapport à cela est de donner les bons conseils. Parfois, il faut un peu allonger les contrats, parfois il faut commander. Notre recommandation a été de commander car quoi qu’il arrive, il y aura un besoin d’automobiles et quoi qu’il arrive, les voitures vont être produites. Mais il est clair qu’aujourd’hui, les délais moyens de livraison sont de cinq mois et demi, voire six mois. Et pour certaines voitures, vous pouvez aller au‑delà d’un an. Dans ce cas, le choix revient au client, mais nous leur proposons de s’orienter vers autre chose. Un autre fait marquant en 2021 a été la décision de certains constructeurs de tirer un trait anticipé sur les remises négociées.
JdF : Qu’en avez‑vous pensé ? Pourquoi certains constructeurs ont décidé de faire ça ?
S.C. : La logique industrielle, on peut la comprendre, car à partir du moment où vous avez un coût des matières qui augmente et quand, en parallèle, vous avez des délais de livraison qui s’allongent fortement, vous avez forcément un impact économique. Après, la rapidité avec laquelle cela a été mis en œuvre, oui je peux comprendre que certains clients aient été surpris. En conséquence, je pense que certains d’entre eux ont clairement changé leur position en réorientant leurs commandes, n’acceptant pas ces nouveaux termes. Je suis toutefois incapable de vous dire dans quelles proportions. Il y a forcément eu des dommages collatéraux, mais les constructeurs qui ont mis cela en place devaient s’y attendre. Ont‑ils eu la bonne approche ? Ce n’est pas trop à moi de commenter cela.
JdF : Où se situe Alphabet dans l’électrification de son parc ?
S.C. : Sur les derniers mois de commande, nous étions à près de 40% sur des véhicules électrifiés. J’intègre les électriques purs, les full hybrid, les hybrides rechargeables et les mild hybrid. Sur les commandes de VE purs, nous avons dépassé le seuil des 10%. C’est une tendance de fond qui est fortement dirigée par la réglementation. Cela veut aussi dire que les clients BtoB ont pris confiance dans ce mécanisme et dans l’idée que l’infrastructure est aussi en train d’évoluer. Maintenant, je pense que le volume de véhicules électriques que nous allons mettre à la route sera supérieur au rythme de déploiement des infrastructures. Il nous faudra être très vigilants sur ce point. Notre rôle est de dire qu’il ne faut pas aller sur l’électrique à tous crins, seulement lorsque cela a du sens pour le client et que l’infrastructure de recharge peut suivre chez lui et en dehors.
Nous sommes restés à 99 000 unités sous contrat, ce qui était prévu.
JdF : Peut‑on parler de la fin prochaine du diesel dans les flottes ?
S.C. : Nous sommes encore à 40/45% de véhicules diesel, car nous avons une bonne part de VUL dans notre parc. Bien entendu, cette part est plus faible si l’on prend uniquement les voitures particulières. La part du diesel va évidemment continuer à décroître avec la multiplication des solutions alternatives. Mais cette baisse ne sera pas aussi violente que celle que nous avons connue depuis 2019. Fin 2020, Alphabet était à 99 000 véhicules sous contrat en France.
JdF : Où en étiez‑vous fin 2021 ?
S.C. : Nous sommes restés à 99000 unités sous contrat, ce qui était prévu. Il y a trois ans, nous avions mis beaucoup de véhicules à la route, donc forcément un nombre important de restitutions ont eu lieu l’an dernier. En revanche, cette année, nous aurons de fait, avec notre niveau de commandes, une crois‑sance de portefeuille. Mais l’objectif de portefeuille n’est pas une fin en soi.
JdF : À quoi doit‑on s’attendre en 2022 ?
S.C. : Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de comment va se comporter le marché. Le consensus est de dire qu’il y aura une légère croissance, notam‑ment en BtoB. On espère évidemment que les constructeurs vont gagner en fiabilité sur leurs approvisionnements. Ce dont je suis convaincu est que la LLD va rester pertinente pour les clients. Nous allons aussi poursuivre notre accélération sur l’électrification. L’autre grande tendance pour 2022 à mon avis sera la notion de responsabilité dans la mobilité. On sent vraiment un appétit des clients pour réduire leurs émissions de CO2, on a atteint un bon niveau de maturité dans cette prise de conscience, dans le fait que la mobilité ne se résume pas qu’à la voiture.
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