L’UE risque-t-elle de manquer son objectif "zéro émission" ?
À première vue, c’est une semaine difficile qui s’achève pour la transition énergétique et la stratégie "zéro carbone". À Bruxelles, la Cour des comptes de l’UE vient de rendre un rapport inquiétant, pour ne pas dire plus, sur la faisabilité réelle d’interdire les véhicules thermiques en 2035, sans mettre en péril les déplacements automobiles, faute de batteries électriques "made in Europe" disponibles à cette date en quantités suffisantes (1).
Dans le même temps au Bourget, la grande famille de l’aéronautique célèbre après quatre années d’absence, le retour en fanfare du salon de l’aviation et du spatial. N’en déplaise à Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le Climat, les perspectives du transport aérien en termes de trafic ont renoué avec la situation d’avant-Covid. Il y a quelques mois, cet éminent ingénieur émettait l’idée que chaque être humain (riche ou pauvre, précisait-il) dispose d’un quota de vols en avion sur toute sa vie (dont deux pendant sa jeunesse), pour préserver la planète !
Selon le géant européen Airbus, le marché mondial aura besoin de plus de 40 000 avions neufs d’ici 2042 pour répondre à la hausse du transport aérien et au renouvellement des flottes. Qu’il s’agisse des responsables de Boeing ou de ceux d’Airbus, personne n’aurait parié sur une telle vitesse de rebond dans un secteur littéralement mis à genoux par la pandémie, il y a tout juste trois ans.
Le mouvement est d’ailleurs bien entamé puisque, selon le cabinet AlixPartners cité par Le Figaro (2), plus de 2 000 commandes d’avions ont été réalisées au cours des six derniers mois par des compagnies aériennes et des loueurs. À la lecture de tels chiffres, on se dit que la sobriété énergétique réclamée par tous n’est pas pour tout de suite. Dans l’aéronautique, la facture de la transition écologique s’annonce effectivement abyssale : 200 milliards de dollars par an, dans le monde, pendant trente ans, afin d’atteindre le zéro net émission d’ici 2050.
Pourtant les avionneurs ont d’ores et déjà posé des jalons pour produire des appareils moins gourmands en énergie. Airbus ambitionne par exemple d’être la premier à mettre en service un avion hydrogène en 2035. Quelque 170 programmes de taxis volants sont au stade de prototype ou en tests à travers le monde. Au Bourget, ils sont sept à présenter leurs technologies et infrastructures, en attendant (peut-être) de pouvoir voler en situation réelle aux JO de Paris.
Un jour aussi, les passagers monteront à bord d’appareils fonctionnant à l’électricité. Et à plus court terme, les compagnies mettront une part croissante de carburant durable dans leurs avions. L’UE a tout récemment fixé des seuils obligatoires de SAF (sustainable aviation fuel) à mélanger avec le kérosène: 2 % en 2025, 6 % en 2030, 20 % en 2035 et jusqu’à 70 % en 2050. Reste toutefois à disposer des capacités de production ad hoc, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Les enjeux sont un peu similaires dans le cas de la voiture électrique. Il faut verdir le plus vite possible le cycle de production des batteries ; on crée donc en Europe des projets de "gigafactories", sans toutefois maîtriser nos approvisionnements en matières premières. Ce qui fait dire à la Cour des comptes européenne que l’UE n’a pas la main sur la montée en puissance des batteries "made in Europe", et que deux scenarii "alarmants" pour la transition écologique se profilent : repousser l’interdiction des thermiques en 2035 ou importer des batteries de Chine.
Une nouvelle fois, comme dans toutes les grandes révolutions industrielles, la temporalité du politique, de l’économique et du scientifique est différente. L’accélération des urgences climatiques peut-elle s’en accommoder ?
L’Arval Mobility Observatory
(1) https://www.eca.europa.eu/ECAPublications/SR-2023-15/SR-2023-15_FR.pdf
(2) https://www.lefigaro.fr/economie/dossier/salon-du-bourget
(Dossier coordonné par Véronique Guillermard)
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