Électrification, hydrogène : le ralentissement en attendant l’envol ?
Le décret publié au Journal officiel du 13 février 2024 sur les bonus environnementaux fait encore et toujours couler beaucoup d’encre et continue de donner lieu à de multiples réactions. Il apporte de l’eau au moulin des "électrosceptiques", qui peuvent opportunément s’appuyer sur un faisceau d’informations moins porteuses pour la filière à batterie.
Il s’est, par exemple, immatriculé en janvier 2024 à travers toute l’Europe, davantage de voitures diesel que 100 % électriques. Un regain de forme pour la motorisation fossile lié aux arbitrages de certains pays soucieux d’arrêter les aides à l’achat. Les prochains mois seront à cet égard éclairants sur l’impact de ces décisions politiques.
Le ralentissement de la croissance du marché du véhicule électrique est à rapprocher d’une certaine forme d’atonie pesant sur la filière hydrogène. Pourtant, avec les voitures 100 % électriques, les véhicules à hydrogène sont présentés comme les motorisations par excellence d’un avenir décarboné.
Un certain nombre de constructeurs, comme de pays, en font leur priorité à moyen terme. Mais la route est longue, les investissements coûteux, les perspectives encore incertaines, et les débouchés finaux toujours à écrire.
Si l’on prend les chiffres du marché du véhicule d’entreprise, il s’est immatriculé en tout et pour tout en 2023, quelque 345 VP et VUL hydrogène (dont 290 VP). Les chiffres ont beau être en croissance de 70%, cette motorisation ne représente que 0,05 % du véhicule d’entreprise tricolore.
Tous marchés confondus et cette fois, à l’échelle mondiale, 2023 ne restera pas non plus dans les annales comme une bonne année pour la "mobilité hydrogène". Selon les données publiées par le cabinet coréen SNE Research et citées par Automobile Propre, seuls 14 451 véhicules à pile à combustible ont été vendus dans le monde au cours de l’année 2023, soit 30 % de moins qu’en 2022 !
Les freins sont assez identiques à ceux du véhicule électrique à ses débuts : prix des modèles jugés exorbitants, inexistence du réseau de stations de recharge (69 ouvertes en France et 197 en projet pour 2025-2026), méconnaissance des usages de cette nouvelle énergie, qui devrait avant tout être réservée à la mobilité dite lourde plutôt qu’aux véhicules particuliers…
En 2023, on comptait 59 bus en circulation en France, soit deux fois plus qu’en 2022. D’ici 2026, compte tenu des commandes des collectivités, ce chiffre pourrait passer à 750. Même perspective pour les bennes à ordures, avec en projection 170 unités, selon France Hydrogène, contre trois en 2023. Quant aux utilitaires, encore assez peu tournés vers l’hydrogène, ils peuvent profiter des investissements des régions, à l’instar de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, qui vient d’annoncer la commande d’une cinquantaine de VUL cette année auprès d’Hyvia, la filiale de Renault.
Pour soutenir durablement la filière, il faut également assumer la question du coût de la fabrication de l’hydrogène, très majoritairement réalisée à partir d’énergies fossiles, ce qui ne va pas dans le sens de la décarbonation des usages.
L’hydrogène dit vert, à partir d’électrolyseurs n’en est encore qu’à ses débuts, même si les projets sont nombreux. Fin 2023, la capacité d’électrolyse installée était de 30 MW contre 13 MW en 2022, rappelle France Hydrogène qui met surtout l'accent sur les capacités "sécurisées", soit 300 MW à la fin de l’année dernière.
Avant que la mobilité hydrogène ne trouve sa place, sans doute en complément de la mobilité électrique qui peut, elle aussi, montrer ses limites (dans le transport lourd par exemple), il y aura des hauts et des bas, des avancées et des reculades.
En Californie, Shell vient d’annoncer la fermeture d’une partie de ses stations hydrogène dédiées aux véhicules légers. Raison invoquée : le recentrage de ses investissements vers la mobilité lourde. Shell continuera donc d’exploiter trois stations dédiées aux camions et fermera sept sites. Pour le géant pétrolier, le marché se développe trop lentement, les voitures à hydrogène ne représentant que 1 % des ventes de voitures électriques en Californie.
Peu à peu pourtant, mais à son rythme, le marché des nouvelles motorisations va se dessiner. Avec une certitude que tous les acteurs, observateurs et décideurs, doivent avoir en tête : aucune motorisation ne peut servir l’ensemble des usages, compte tenu de ses spécificités. On en fait l’expérience tous les jours et Bruxelles pourrait utilement s’en inspirer.
L’Arval Mobility Observatory
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