Conduite en plein brouillard
Depuis de longs mois, la filière automobile européenne et ses clients ne savent plus très bien à quels saints se vouer. Pas sûr qu’ils y voient plus clair au lendemain de l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche et des déclarations du commissaire européen chargé de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné.
Ou plutôt si : ils ont confirmation que jamais, sans doute, l’environnement automobile n’a été aussi brouillé, sur fond d’incertitude autour du rythme et l’ampleur de la transition écologique ou encore de menaces commerciales en provenance des États-Unis. La preuve en cinq points.
À peine installé dans le salon ovale et fidèle à ses promesses de campagne, Donald Trump a signé plusieurs décrets mettant fin à la stratégie de son prédécesseur dans la voiture électrique et les énergies renouvelables.
Sortie de l’accord de Paris, arrêt des aides à la production et à l’achat de VE, suspension des calendriers d’interdiction des véhicules thermiques, réexamen des règles sur les normes d’émissions de CO2, relance de l’exploration-production d’hydrocarbures. Dans le même temps, sa politique commerciale en matière de droits de douane fait trembler bon nombre de constructeurs européens.
À cette nouvelle politique américaine s’ajoute de grandes incertitudes en Europe. Tout juste élu à la tête de l’ACEA, le patron de Mercedes réclame un assouplissement du Green Deal, pour le rendre "plus flexible", "moins contraignant" et surtout moins pénalisant pour les constructeurs.
À ce stade, la filière n’évoque pas d’arrêt du Green Deal, mais une temporisation, pour permettre aux constructeurs d’encaisser l’atonie du marché de l’électrique (la part de marché en Europe stagne à 13,6 % en 2024, soit un point de moins qu’en 2023). Impossible en effet pour eux de tenir leurs objectifs de ventes de véhicules électriques si les clients finaux n’en veulent pas !
Jusqu’alors la Commission européenne a fait la sourde oreille à ces demandes. Le plan annoncé par le commissaire européen Stéphane Séjourné, dont les mesures seront dévoilées le 26 février, peut-il changer la donne ? Ce dernier promet un "choc de demande" pour soutenir les constructeurs.
En langage moins technocratique, cela veut dire prendre des mesures pour inciter les consommateurs à acheter des véhicules électriques. Le commissaire cible les entreprises, traditionnellement "fer de lance" par leurs achats ou locations du rajeunissement du parc automobile roulant.
Le "hic", c’est qu’en France, une proposition de loi est aussi en préparation pour accélérer l’électrification des flottes automobiles, non via des "carottes" mais plutôt une politique du "bâton", c’est-à-dire des amendes. En 2024, rappelons que les bonus électriques ont été supprimés pour les entreprises qu’il s’agisse des VP et des VUL, pour raisons budgétaires.
Même si nous ne sommes plus à une contradiction près, la mise en musique d’un "choc de demande" à l’échelle européenne avec des incitations fiscales, et d’une loi d’accélération de l’électrification des parcs des entreprises en France à coups de pénalités, relève du casse-tête chinois.
Et des voitures chinoises, parlons-en justement, car là aussi, les consensus de façade se lézardent peu à peu en Europe. Officiellement, tout est fait à la Commission européenne pour limiter la force de frappe des voitures électriques chinoises (surtaxes douanières), tandis qu’en France, le dispositif d’écoscore les exclut des aides à l’achat.
Sur le terrain, la réalité est quelque peu différente : après avoir longtemps fustigé la complaisance des Européens, Stellantis accompagne depuis plusieurs mois l’expansion commerciale du chinois Leapmotor dans lequel il a pris une participation. Toutes les marques chinoises construisent actuellement leur réseau de distribution en Europe et en France, avec des réseaux qui ont pignon sur rue.
Il y a quelques jours, le patron de Mercedes-Benz a ouvertement appelé de ses vœux l’installation d’usines de production automobiles chinoises en Europe, arguant que l’Europe a plus à perdre qu’à gagner d’un protectionnisme excessif (1).
Davantage d’usines chinoises en Europe, c’est l’assurance d’une large ouverture à leurs modèles dans les différents pays de l’Union, avec des risques de "guerre commerciale" pour les constructeurs historiques. La "conduite du changement" en plein brouillard a décidément de beaux jours devant elle.
L’Arval Mobility Observatory
(1). "EU should welcome Chinese car factories, says Mercedes boss". Financial Times. 21 janvier 2025.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.