Vous ne direz plus "aller au bureau"...
Si la digitalisation à marche forcée de nos sociétés ne semble pas devoir être contestée (les 55 jours de confinement ont au contraire mis en lumière son indispensable généralisation), d’autres évolutions connaissent, elles, des fortunes plus diverses.
Prenons le cas des transports en commun ; avant la crise du Covid, ils figuraient en bonne place dans la boîte à outils des concepteurs des plans de mobilités déployés par les entreprises (PDM), aux côtés des mobilités alternatives et mutualisées telles que le covoiturage, l’autopartage, le vélo-partage, les trottinettes électriques. Le but était alors de réduire à tout prix le nombre de véhicules particuliers sur les routes, de décongestionner les axes d’accès vers les grandes métropoles, et de lutter contre la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique.
Aujourd’hui les mêmes transports en commun font figure de repoussoir pour les voyageurs qui n’ont pas la mémoire courte, et qui éprouvent le plus grand mal à croire à cette soudaine mue sanitaire vertueuse d’un réseau davantage connu pour sa saleté, son manque de ponctualité et ses conditions de voyage dégradées. Le « On va vous faire aimer le métro et le RER » a du mal à passer auprès de la population, même après deux mois d’immobilisme forcé.
N’en déplaise aux pourfendeurs de la voiture, pour éviter les risques de contamination et pour être sûrs d’appliquer les règles de distanciation sociale, les Français sont donc nombreux à estimer que rien ne vaut leur véhicule personnel ou leur voiture de fonction pour se déplacer. Et voilà comment un virus, dont on ne connaît toujours pas l’étendue de sa capacité de nuisance et pour lequel, surtout, il n’y a pas de vaccin, met par terre plusieurs années de construction méthodique de nouveaux modèles de déplacements.
A l’inverse, le confinement fait émerger de nouvelles organisations jusqu’alors considérées avec circonspection par certains dirigeants. Avant le Covid-19, moins de 7% des salariés télétravaillaient en France de manière contractuelle ; ils sont aujourd’hui près de 39 % selon la dernière étude de CSA pour Malakoff Humanis publiée en avril. Mais surtout, 73 % des salariés souhaitent rester en télétravail, une fois la crise sanitaire terminée. Un peu partout à travers la planète, des géants économiques et non des moindres (Twitter, Google, Barclays…) commencent même à envisager le télétravail permanent. « La généralisation du télétravail n’est plus de l’ordre du souhait mais du fait. En quelques semaines, toutes les fonctions transposables en télétravail l’ont été, et cette généralisation a pulvérisé en un éclair les principaux (faux) arguments qui tentaient de l’enrayer », analysait récemment la philosophe Julia de Funès dans Le Figaro (1).
A cet égard, l’annonce de PSA de généraliser le télétravail pour tous ses collaborateurs (hors production) constitue un formidable appel d’air pour cette nouvelle façon de travailler. Comment un constructeur automobile, pour qui les déplacements sont gages de ventes ou de locations de véhicules, peut-il prôner la « démobilité » à ses propres salariés, sans donner l’impression de se tirer une balle dans le pied ?
A bien y réfléchir, le télétravail ne pourrait-il pas au contraire constituer à terme un booster commercial pour l’automobile ? Car des salariés en télétravail n’ont plus la contrainte absolue d’habiter à proximité de leur bureau. Le confinement a d’ailleurs exacerbé le désir d’un certain nombre de citadins de quitter leur appartement, certes bien placé en ville, mais exigu, pour s’installer à la campagne dans des maisons plus spacieuses. Or, qui dit vivre à la campagne, dit souvent aussi nécessité de se véhiculer et donc d’acheter une automobile (comme seulement 34 % des Parisiens) voire deux. CQFD.
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, bien malin celui qui sait identifier les modes et repérer les tendances de fonds réelles.
Sociologues, philosophes, psychologues, scientifiques, économistes n’ont pas fini d’échafauder les contours du « monde d’après » et du modèle de société du futur. Plus humblement nous nous contenterons de cette formule, qui a sans doute des relents « discussions de café du commerce », mais qui trouve tout son sens: « la vérité d’aujourd’hui n’est pas toujours celle de demain ».
L’Arval Mobility Observatory
(1). «Le télétravail doit rester une liberté ». Le Figaro. 11 mai 2020.