Les mobilités sont dans la rue
Il y a un quart de siècle, en 1995, lors de la précédente grande mobilisation contre la réforme des régimes spéciaux, les Français n’avaient pour toute solution - à part leur voiture - que de compter sur leurs pieds… et de marcher. A l’époque le covoiturage était balbutiant, tandis que le bon vieil auto-stop avait encore nombre d’adeptes. Toujours en 1995, point de Uber et autres chauffeurs VTC, point non plus de cars Macron pour prendre le relais des trains et métros à l’arrêt, mais des camions militaires réquisitionnés au bout de quelques jours de grève pour transporter tant bien que mal (comble de déveine, cette année-là, il a neigé à plusieurs reprises en décembre), les banlieusards aux portes de Paris. Mais surtout, dans les entreprises, les modes d’organisation ne prévoyaient pas le travail à distance.
Alors bien sûr, loin ici l’idée de dire que la grève des transports, on ne la voit pas et qu’on n’en pâtit pas. Les centaines de kilomètres de bouchons quotidiens aux abords des villes, ou les scènes de violence dans les gares pour prendre d’assaut les rares trains en fonctionnement, montrent bien que le pouvoir de nuisance de certains reste intact.
Pour autant, à l’heure d’internet et du digital, quelques alternatives existent et nul doute qu’elles prospèreront à la faveur de la grève de 2019. Prenons le cas du télétravail. Moins de 2 millions de Français le pratiquent aujourd’hui, mais à terme, les nouveaux convertis risquent d’être légion. D’ailleurs les entreprises, et pas seulement les très grandes -en général plus ouvertes aux innovations sociales-, travaillent sur cette question. Les plans de mobilité entreprise, qui visent à multiplier et mutualiser les solutions de déplacements des collaborateurs, intègrent souvent cette forme de travail (dans 71% des cas, selon notre dernier Baromètre Flottes réalisé avec le CSA). Dans un exercice très réussi de politique-fiction, l’éditorialiste des Echos, Jean-Marc Vittori, évoque le chiffre de 10 millions de télétravailleurs en 2030 ! (1) Et pourquoi pas, quand on sait que la stratégie des entreprises est aujourd’hui de réduire les coûts prohibitifs de leur immobilier et de déployer des solutions de flex-office dans lesquelles le télétravail constituera une brique essentielle.
Du côté des transports également, les remèdes au manque de trains et de métro, font florès. Des opérateurs comme Blablacar, Karos, Klaxit, Kapten, Lime et autres Voi, totalement inexistants il y a 25 ans, mais qui ont su surfer en quelques années sur les nouvelles mobilités, profitent à plein de l’aubaine des grèves. A force de trésors d’inventivité pour améliorer l’ordinaire des orphelins des transports en commun, ils espèrent ainsi s’installer durablement dans le quotidien des Français et tirer les marrons du feu de la contestation sociale.
Certains contestataires extrêmes n’hésitent d’ailleurs pas à partir en guerre contre ces mobilités alternatives. Au motif de lutter contre les « briseurs de grèves », l’association Extinction Rebellion a d’ores et déjà démoli plusieurs milliers de trottinettes électriques à Paris, Lyon, Bordeaux. En proposant ces alternatives à l’ordre établi, les nouvelles mobilités deviendraient-elles les « syndicalistes jaunes » du XXIème siècle, ou simplement la partie visible d’une évolution naturelle et irrémédiable de la vie professionnelle ?
L’Arval Mobility Observatory
(1). La grande grève qui déclencha la révolution du télétravail. Jean-Marc Vittori. Les Echos. 10 décembre 2019.