Le télétravail au service de la "souveraineté nationale"
Dans quelques années, lorsque l’on fera le bilan des années Covid-19, que mettrons-nous en avant en matière économique ? Sans aucun doute l’envolée de la dette publique et du chômage ; très certainement aussi l’émergence de nouvelles façons de se déplacer pour éviter les transports en commun (on verra alors si l’engouement pour le vélo sera devenu une véritable tendance de fond ou une mode éphémère) ; et sûrement la révolution des modes de travail à distance. Avec en toile de fond une question : le télétravail est-il une chance pour l’économie française ?
Avant le confinement, la réponse aurait été à coup sûr non, vu le peu d’enthousiasme dont faisaient preuve les entreprises et les managers desdits "télétravailleurs occasionnels". Résultat, la France ne se classait pas dans le peloton de tête des pays faisant la promotion du télétravail. Selon Eurostat, avec un taux moyen de 3 %, elle courait ainsi loin derrière les Pays-Bas (14 %) ou la Finlande (13 %). Une pandémie et deux confinements plus tard, toutes les digues semblent avoir cédé. Lors du premier confinement, selon les enquêtes, jusqu’à 44 % des salariés ont télétravaillé, dont deux tiers de cadres. Même si ce chiffre a ensuite nettement reculé entre les deux confinements, il semble bel et bien que la greffe ait prise et qu’un retour total en arrière soit inconcevable.
Les détracteurs du télétravail pourront peut-être se rassurer en lisant une note du Trésor reprise cette semaine par le Figaro, sur son effet positif au regard de la productivité. "Le télétravail augmenterait la productivité horaire du travail via notamment une amélioration des conditions de travail, qui permet au travailleur d’être plus concentré et de prendre davantage d’initiatives dans les tâches qu’il effectue, ou encore via un investissement plus important du travailleur, afin de “compenser” son absence physique" (1).
Quant aux entreprises, après le temps de la méfiance, est venu celui de l’adhésion au concept. D’autant que pour elles, "télétravail" rimait avec "gisement d’économies". Sur les coûts immobiliers d’abord, avec la suppression des bureaux individuels et l’avènement du "Flex Office", cet espace de travail où plus aucun poste n’est attribué à aucun collaborateur. Comme l’explique encore l’enquête du Figaro, "la question des dépenses immobilières n’est pas anecdotique en France. Selon la Banque de France, le ratio dépenses de loyers/salaires est passé, pour une entreprise médiane, de 13,5 % en 2001, à 15,3 % en 2017. Le télétravail pourrait casser cette courbe inflationniste". Autre source d’économie pour l’entreprise, la montée en flèche de la digitalisation et du numérique, qui sont certes un coût au démarrage lorsqu’il faut investir dans des équipements, mais qui ensuite font gagner de l’argent.
Dans ce grand changement organisationnel, il reste tout de même une question qui, pour le moment n’a pas de réponse. Peut-être parce qu’elle n’est pas politiquement correcte, peut-être aussi parce qu’il est trop tôt pour y répondre. On écrit beaucoup sur le télétravail qui permet de s’évader des grandes villes et de travailler, tout aussi vite et bien, à la campagne ou au bord de la mer. Quid, dès lors, de télétravailler aussi depuis l’autre bout du monde ? En un mot : et si la crise de la Covid-19 et son impact sur l’explosion du télétravail conduisaient, ni plus ni moins, à un nouvel exode de pans entiers de l’activité comme cela a déjà été le cas par le passé dans la comptabilité ou certaines industries ?
La course aux vaccins contre la Covid-19 a déjà cruellement mis à jour la désindustrialisation des laboratoires pharmaceutiques tricolore, la France étant devenue au fil des années plus un simple "comptoir commercial" qu’une nation de laboratoires de recherche. Même constat et même signal d’alarme tiré récemment par la puissance publique, avec la pénurie de semi-conducteurs dans le monde. Là encore, face à des usines automobiles menacées d’arrêts de productions, faute de puces électroniques indispensables à leurs nouveaux modèles, l’Etat enfourche le cheval de la relocalisation de certaines activités. Le prochain contrat de filière devra inclure un volet "électronique", tout comme la filière électrique devait en son temps se doter au plus vite d’Airbus des batteries… Alors, oui au télétravail, surtout s’il favorise la relocalisation !
L’Arval Mobility Observatory
(1). "Le télétravail est-il favorable à la croissance économique ?" par Anne de Guigné. Le Figaro 15 février 2021.