Table ronde Géolocalisation : l’ère du volume
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FOCUS - Les intervenants
• Masternaut
Marc Trollet, directeur général France
• TomTom Business Solutions
Eric Hubert, directeur commercial
• GFD
Sébastien Saint-Aimé, responsable Service Informatique & Technique
• Orange Business Services
Jean Yves Tallois, directeur communication et marketing
• Continental VDO
Denis Ferrer, directeur division tachygraphes et services
• Nomadic Solutions
Philippe Orvain, président
• Géoclic
Eric Felix, président
• Akka Technologies
Frédéric Ligeard, ingénieur SIG
• Kuantic
Thierry Perrault, responsable financier et partenariats intégrateurs
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I - Marché
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pour entamer cet échange, quels enseignements peut-on tirer du marché de la géolocalisation ?
Philippe Orvain. Le marché ne connaît pas l’explosion qu’on lui promettait il y a quinze ans. Selon une étude menée récemment par Orange, on note que 12 % des véhicules professionnels sont équipés, alors que l’arrivée du GPRS, en 2004, laissait croire que la courbe serait exponentielle. Nomadic Solutions vend la brique matérielle, et, de ce point de vue, nous pouvons observer que les volumes ne sont au rendez-vous pour personne. Clairement, l’aspect social continue de jouer en notre défaveur, alors que ce n’est pas du “flicage”, mais de la gestion. Alors, nous misons à peu près tous sur le service d’écoconduite pour nous aider, sur le long terme, à faire passer la technologie de manière plus aisée.
JA. Est-ce un sentiment partagé par tous ?
Jean-Yves Tallois. Oui, avec quelques nuances, néanmoins. Nous voyons que le marché de la géolocalisation a démarré plus vite dans d’autres pays où cette contrainte sociale était moins forte. Depuis fin 2011, nous sentons que tout le monde commence à s’y intéresser sérieusement et que le marché devient mature sur la technologie et son emploi. La crise est malheureusement venue contrebalancer tout cela, car les clients considèrent notre produit comme un centre de coût et non de profit. Il y a donc encore un effort d’éducation à faire de notre part.
Thierry Perrault. Il y a effectivement une maturation du marché, qui se caractérise par un nombre d’appels d’offres portant sur des volumes plus conséquents. On parle en milliers, voire en dizaines de milliers. Et, il y en a trois ou quatre en ce moment sur le marché.
Eric Felix. Certes, il y a du mouvement, mais il ne faut pas tout mélanger. Il y a le marché des grands comptes, mais ce qui constitue réellement l’essentiel du business, ce sont les entreprises de moins de 25 salariés, avec moins de 20 véhicules. Ce ne sont pas les clients qui bougent le plus, ce sont les acteurs, qui en réaction à la crise ont dû réadapter leur offre. C’est fini les contrats de 48 à 60 mois avec des mensualités à 45 euros. Le problème du secteur de la géolocalisation, ce sont les prestataires qui pensent encore que le prix se trouve toujours à 35 euros pour des solutions légères. Notre ressenti est que les sociétés veulent des systèmes calqués sur de la téléphonie mobile, à savoir sans engagements, modulables et modifiables à tout instant. Le mot “flicage” n’existe plus, je ne suis pas d’accord avec les réactions de mes confrères. Il y a juste une différence entre l’acceptation de l’employeur et celle de son salarié.
Philippe Orvain. Il nous arrive tout de même d’avoir des boîtiers sabotés.
JA. Masternaut et TomTom Business sont présentés comme les leaders du secteur, dans quelle démarche vous inscrivez-vous ?
Marc Trollet. Elle se résume à ce qui vient d’être dit, à savoir que nous sommes passés du “Time-to-innovation” au “Time-to-market” et que, désormais, nous entrons dans le “Time-to-volume”. En résumé, nous sommes passés de l’évangélisation à l’industrialisation. Nos clients veulent des solutions industrielles, et preuve en est, de cet intérêt, nous avons eu des demandes pour des pilotes de 1 000 unités au deuxième trimestre, chose que nous n’aurions pas crue possible il y a peu de temps. D’autres viennent même signer sans pilote, car ils ont été rassurés par ailleurs. En revanche, ils nous demandent un déploiement rapide et un retour sur investissement immédiat.
Eric Hubert. Je crois que nous profitons tous d’une croissance. Au-delà d’une approche grand groupe indispensable pour cet aspect industrialisation, il ne faut pas négliger les plus petites structures. Ce secteur n’a jusqu’ici pas forcément été prospecté alors qu’il n’avait pourtant pas nécessairement trouvé de solutions à sa portée. Le concept est prouvé, les fonctions et les prix sont très proches et, dans ce contexte, c’est bien le ROI et la capacité à équiper qui donnent l’avantage concurrentiel. Je pense que nos bonnes expériences auprès des grands groupes et des PME reconnues serviront de vitrines et mettront en confiance le marché. Les TPE-TPI souffrent et nous pouvons les accompagner. En soi, la géolocalisation n’est donc pas une fin, mais un moyen.
Denis Ferrer. En tant qu’équipementier, nous avons à la fois une vue sur la partie aftermarket, soit l’usage qui en est fait par les entreprises de transport clientes, et en même temps la vision constructeur, avec les plateformes embarquées. Il y a plusieurs enjeux : d’abord, la notion de réduction de coûts opérationnels, la notion de sécurité liée à l’interface homme-machine et, enfin, la notion environnementale apportée par l’écoconduite. On remarque que les demandes sont très diversifiées, et cela nous pousse à standardiser au maximum nos solutions, avec une base la plus modulaire possible, afin qu’elles s’intègrent facilement à l’architecture du véhicule, qui est un milieu très contraignant.
Thierry Perrault. Lors de nos dernières rencontres clients, nous les avons vus arriver davantage avec une exigence de TCO que de ROI. C’est un signe d’évolution dans la réflexion, car ils ne sont plus dans l’achat, mais dans l’intégration au budget, comme un outil incontournable.
II - Prix, ROI et TCO
JA. Quel est l’impact sur le TCO ?
Philippe Orvain. Philippe Brendel, de l’OVE, a souligné qu’une bonne gestion de la conduite pouvait permettre de gagner 15 % sur le TCO. On entretient la mécanique et, chose importante, on baisse la sinistralité.
Eric Hubert. Nos outils, s’ils sont performants, peuvent faire gagner des heures de conduite hebdomadaires, jusqu’à 10 %, qu’il faut recouper avec le montant du salaire chargé du collaborateur. Ainsi, les clients se rendent compte des économies réalisables.
Marc Trollet. Cela dépend de la maturité des comptes : s’ils sont dans une démarche de suivi de collaborateurs, de gestion des ressources ou d’optimisation par la planification. D’autres veulent augmenter leur qualité de service afin de diminuer leur coût d’acquisition de client. Prenez des sociétés qui promettent une livraison dans un temps imparti, ils n’ont que faire d’économiser du carburant, ce qui compte c’est le respect des engagements, donc seules la gestion des ressources et la planification trouveront du sens à leurs yeux.
JA. Est-ce l’accumulation de détails qui fait le tout ?
Eric Hubert. Vous ne pouvez pas imaginer la quantité d’informations que l’on peut remonter. Il ne faudrait pas que le chef d’entreprise se retrouve noyé sous un flot abondant. Il nous appartient de ne pas rester pendus à ces variables techniques, mais de savoir les mettre en forme, à disposition du client, d’où la nécessité de pouvoir les intégrer dans le système d’information général de l’entreprise. L’outil de gestion de flotte ne doit en aucun cas être isolé et dissocié de ceux de comptabilité, de facturation ou de paye.
Philippe Orvain. Cela est d’autant plus vrai que nos intégrateurs nous réclament de plus en plus d’API afin d’établir des passerelles avec les autres logiciels, chez les clients, y compris avec l’écoconduite qui, in fine, comme nous l’avons dit, peut être un bon prétexte pour faire entrer ensuite une solution de géolocalisation.
Thierry Perrault. La justification des économies est une vraie problématique, surtout dans une négociation avec un grand compte. Nous n’avons pas l’argumentaire, alors que nous pourrions facturer 5 fois plus cher la performance de nos outils.
Philippe Orvain. Avec ce qu’on vient d’entendre, pourquoi les constructeurs n’ont-ils pas encore donné de la voix afin de clarifier la situation ? Pourquoi les équipementiers n’ont-ils pas été sondés sur des fonctions métier ?
Denis Ferrer. Nous sommes interrogés par les différents constructeurs VL et PL. On les sent frileux et désireux de développer des solutions propriétaires afin de maîtriser leur clientèle. Mais, finalement, ils s’y perdent, car les données récoltées, qui sont très pointues, sont des données propriétaires et ne servent qu’à la maintenance. En synthèse, nous pouvons dire que les constructeurs ne sont pas encore mûrs. Chez PSA et Renault, nous voyons des projets de plateformes capables d’interagir avec des outils mobiles en plug-and-play, au travers d’une interface homme-machine la plus confortable et la plus sécuritaire pour l’utilisateur.
JA. Ne pourriez-vous pas être intégrés plus en amont, dans ce cas ?
Jean-Yves Tallois. Le problème, dans ce cas de figure, c’est que le constructeur impose à son client d’avoir une flotte composée de véhicules d’une seule marque.
Denis Ferrer. A cela s’ajoute le paramètre de l’intégration dans un système d’information global, un point déterminant dans la conduite du changement.
JA. Estimez-vous, en ce cas, que les grands comptes détiennent la clé d’entrée chez les constructeurs ?
Jean-Yves Tallois. Oui, très clairement, car ils ont les moyens de faire pression sur eux.
Eric Hubert. Il y a un acteur intermédiaire qui a un rôle à jouer, c’est celui qui met les véhicules à disposition des entreprises, notamment les sociétés de leasing qui cherchent souvent des offres de services à valeur ajoutée. Leur intérêt étant en contrepartie d’obtenir des informations qui leur échappaient jusqu’à présent, comme le suivi en temps réel du kilométrage, la consommation, la prise de risque comportementale.
Eric Félix. Les loueurs veulent tout pour rien, il faut prendre le temps de monter une offre où ils ne déboursent rien. Dans ce cas, ils sont enclins à pousser nos produits et services auprès de leurs clients.
JA. Qu’en est-il du “Pay-as-you-drive” qui devait être un relais de croissance pour vous ?
Denis Ferrer. Tout dépend des pays. Au Brésil, par exemple, les assurances imposent un outil de géolocalisation. Au Royaume-Uni aussi, elles s’impliquent et poussent les solutions. En France, nous ne sommes pas dans la même logique, pour diverses raisons, dont financières. Le “Payd” est davantage destiné au particulier, dont les problématiques sont différentes.
JA. De quoi vos tarifs se composent-ils ?
Thierry Perrault. Il y a la partie visible du prix, qui représente environ 30 %, et les coûts liés à l’intégration, le système d’information et l’exploitation. Il y a un véritable paradigme du prix et, en réalité, les solutions valent plus que ce que l’on facture, mais cela est caché par la massification. Il nous faut gagner encore plus sur les coûts de fonctionnement afin de répondre à la demande de compétitivité.
JA. Quel est donc le bon équilibre pour être rentable ?
Marc Trollet. Il faut faire des choix. Dans notre secteur, nous sommes des entrepreneurs et nous avons tous expérimenté des services variés pour savoir ce qui allait marcher. Nous avons, à titre d’exemple, essayé sans succès l’autopartage ou l’assurance. On apprend. La rentabilité sur des services vient avec la maturité, et donc l’intérêt de déployer. Pour avoir un ROI, nous devons vendre des solutions globales, qui répondent à des problématiques multiples. En clair, si on fait de l’assurance, il n’y aura de la rentabilité que si l’on ajoute d’autres compétences. On peut également s’associer à des géants qui, dans leur modèle économique, proposeraient aux sociétés des remises sur la prime d’assurance.
JA. Comment, chez Geoclic, parvenez-vous à jouer sur le prix ?
Eric Félix. Autour de la table, j’entends parler de grands comptes depuis le départ, mais combien de signatures annuelles totalise cette typologie de clients ? Le vrai marché se trouve chez les entreprises de moins de 100 véhicules. Voilà ce qui nous fait réellement vivre. Depuis dix ans que je fais ce métier, je remarque qu’il y a des mastodontes installés et une multitude de petits acteurs qui sont venus avec une stratégie offensive. Dans le cadre de GFD, nous avions une stratégie qui consistait à approcher les flottes avec une structure légère, mais dont le panel était complet. Aujourd’hui, on s’aperçoit que le marché réclame tout cela, mais qu’en plus, il veut une couche de personnalisation.
JA. Comment leur apportez-vous cette spécificité ?
Eric Félix. Nous y avons répondu en construisant une offre modulaire, accessible depuis un portail Web. C’est de l’e-commerce, ils ont un catalogue de fonctions et choisissent en accord avec leurs besoins. Il y a des avantages et des inconvénients : la liberté du client est compliquée à facturer, car il y a finalement beaucoup de mouvements, d’inscriptions et de désinscriptions. Notre système est pyramidal et toutes nos solutions sont en Web service, avec intégration obligatoire. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons évoquées précédemment par Eric Hubert : chacune des entreprises a ses intérêts et ses accords extérieurs, qui nécessitent en toute indépendance un partage de données.
JA. Comment votre client peut-il s’y retrouver, dans ce cas ?
Eric Félix. Nous fonctionnons avec des packs et réalisons des bilans réguliers avec les clients. Typiquement, nous en avons eu un, récemment, qui, après avoir constitué sa plateforme, s’est dit intéressé par notre fonction “surveillance du carburant” afin de solutionner des problèmes de vol. Après un mois, il avait économisé plus de 200 litres.
Eric Hubert. Il y a un piège dans notre industrie : ce ne sont pas nos limites technologiques car nous pouvons accomplir des prouesses, mais combien le client est prêt à débourser pour les utiliser. Toutefois, comme nous le démontrent les études européennes, il y a une concentration des acteurs. Le marché devient continental car celui de nous qui veut poursuivre ses investissements et justifier les infrastructures à mettre en place a la nécessité d’entretenir un parc minimum. Cette taille critique, nous l’estimons à 100 000 unités.
Thierry Perrault. C’est vrai que cette activité est de plus en plus gourmande en capitaux. Le Time-to-volume versus le Time-to-innovation entraîne une industrialisation, et donc une concentration des capitaux.
Jean-Yves Tallois. On parle de volume, et l’enjeu est de savoir télé-opérer en très grand nombre à distance, d’être capable de gérer un millier de problèmes différents ou encore de savoir faire évoluer les outils. Nous sommes généralistes et à côté pourraient émerger des ultra-spécialistes, sur des marchés de niche. D’ici quelques années, nous allons être aussi confrontés à la baisse de la valeur ajoutée sur le matériel, car nous nous retrouverons face à des voitures équipées de série.
JA. Cela pourrait-il mettre à mal les spécialistes en fourniture de boîtiers ?
Philippe Orvain. Non, il nous faut juste être là où il faut au bon moment. En clair, nous avons intérêt à devenir ces fournisseurs de première monte, comme cela s’est vu par le passé sur le marché des autoradios ou sur la navigation.
Denis Ferrer. La question demeure de savoir si cette intelligence est intégrée ou déportée avec une interface la plus agréable possible.
JA. Le prix est une chose, mais quid du financement des projets ?
Eric Hubert. Il n’y a pas de problème face à l’engagement. Nous fonctionnons sur le même modèle que les opérateurs téléphoniques, c’est-à-dire que le montant de l’abonnement est calculé sur le nombre de mensualités. Nous voyons d’ailleurs que certains préfèrent payer plus cher, mais s’engager sur de plus courtes durées.
Jean-Yves Tallois. Nous n’y voyons d’ailleurs aucun souci car, la plupart du temps, notre matériel est conservé au terme du contrat et nous signons à nouveau avec le client.
Marc Trollet. On remarquera même que les durées sont calées sur la durée de location du véhicule. Ce qui est plus aisé pour les clients et pour nous, finalement, dans la mesure où cette garantie de pérennité nous permet d’investir et de poursuivre nos activités en R&D, qui sont pour la plupart inscrites dans des cycles longs de développement.
JA. Vos interlocuteurs de référence au sein des sociétés changent-ils avec le temps ?
Philippe Orvain. Oui, nous avons les directeurs de service informatique, mais plus généralement les directeurs généraux qui savent où se trouve leur point de rentabilité et ont identifié les postes pouvant réaliser des économies. Ils seront les mieux placés pour trancher.
Jean-Yves Tallois. Au dernier salon des achats, fin juin, il n’y avait pas moins de quatre conférences portant sur la gestion des parcs de véhicules.
III - Services associés
JA. Autre sujet qui alimente les débats, l’autopartage. Qu’en pensez-vous ?
Marc Trollet. On peut le dire entre nous, l’autopartage est un outil de communication des sociétés de leasing car, quelque part, cela cannibalise leur métier qui est de vendre des véhicules. Quelle crédibilité peut-on avoir alors, hormis le fait de dire qu’elles innovent en proposant le service. Mais, en réalité, cela ne se vend pas bien.
Philippe Orvain. L’autopartage, c’est du ROI pour les loueurs. Dans un secteur concurrentiel comme le leur, gagner des marchés passe parfois par la capacité à proposer une solution pérenne. Nous le savons car nous sommes distributeurs d’une solution open source, Citizen Ware, qui fournit de l’autopartage clé en main avec possibilité de traiter soi-même sa plateforme de gestion.
Jean-Yves Tallois. Aux Etats-Unis, le plus gros prestataire cumule à peine 7 000 voitures. L’autopartage est un service qui n’a pas encore pris en France. Pour être concret, chez Orange Business Services, seulement 1 500 des 22 000 véhicules en flotte sont autopartagés. Nous avons un rôle à jouer en ce sens car nous pouvons être vecteurs de l’offre.
JA. Jugez-vous qu’il reste de la place pour des tiers non historiques ?
Thierry Perrault. Nous évoquions précédemment la concentration. Elle n’est pas simplement d’ordre capitalistique, mais également technologique. Les meilleurs se regroupent et, in fine, il est plus difficile pour un opportuniste de venir se positionner.
Denis Ferrer. Le contexte législatif peut néanmoins permettre à de nouveaux acteurs de trouver une place dans le paysage. Par exemple, lorsque les poids lourds de plus de 3,5 t seront soumis à l’écotaxe, certains pourraient arriver avec des boîtiers de géolocalisation et une plateforme de calcul de la taxe à payer. Nous devons trouver des solutions qui aideront les gestionnaires face à ces nouveaux paramètres.
Jean-Yves Tallois. En France, on compte à peu près 5 millions de VUL et 500 PL. Cette dernière fraction va connaître un bouleversement dans son informatique embarquée. Par contre, si un jour les chronotachygraphes arrivent dans les VUL, le marché va changer significativement.
JA. Quelles pourraient être les technologies à valeur ajoutée qui émergent ?
Frédéric Ligeard. On utilise des capteurs qui, associés à la géolocalisation, permettent d’alerter si le camion dévie de son parcours, si la température de sa cargaison est anormale ou s’il est tout simplement en surcharge.
Marc Trollet. La géolocalisation n’est plus un simple point sur une carte, en voici la preuve. Nous n’en sommes plus à vouloir tout maîtriser technologiquement, nous avons compris que nous avions un intérêt à laisser entrer des prestataires extérieurs à valeur ajoutée. Cette preuve de maturité attire. Certains s’interrogent et étudient la possibilité de se positionner avec leurs produits, leurs couches logicielles ou leurs technologies. Si nos ventes se font par leur intermédiaire, ce n’est pas grave, au contraire. Aujourd’hui, les sociétés de services nous réclament un professionnalisme égal au niveau exigé par les DSI que nous fréquentons.
Eric Félix. Sur le produit généraliste, il est à mon sens impossible ou presque de rentrer, je suis d’accord avec Marc Trollet. Mais les acteurs de niche ont une carte à jouer. En lançant Inforoad, nous avons pris ce parti, avec un produit qui s’adresse aussi bien aux professionnels qu’aux particuliers. Nous n’allons pas essayer de nous battre en étant les mieux-disants car il est clair que nous sommes tous plus ou moins au même stade, mais nous allons packager un produit simple à la base, en y ajoutant de l’attrait comme, par exemple, l’appel d’urgence. Ce qui, au passage, est une première dans notre secteur.
JA. A quoi pouvez-vous prétendre ainsi ?
Eric Félix. Soyons clairvoyants, Inforoad vient en concurrence de GeoCoyote. L’un comme l’autre, nous ne pouvons objectivement prétendre qu’à 2 000 unités annuelles chacun. Nous n’irons jamais concurrencer Masternaut, Orange ou TomTom Business Solutions.
JA. Quelle stratégie adopter en ce qui concerne les installateurs ?
Eric Hubert. Chez TomTom Business Solutions, nous sommes dans un mode de commercialisation indirect parce que nos clients ont un besoin de proximité dans le rayon d’action qui est leur zone de chalandise. Le deuxième aspect de cette stratégie étant que l’on veut simplifier au maximum le déploiement. Cette approche a ses avantages et ses défauts, mais elle permet en tous les cas aux revendeurs de pouvoir apporter leur plus en termes de valeur ajoutée.
JA. Comment intéresse-t-on les partenaires quand le marché semble bloqué à moins de 15 % de pénétration ?
Eric Félix. Ils sont bien payés, entre 60 et 80 euros par installation sur un véhicule, sachant que le temps moyen est de 25 à 30 minutes. En revanche, dans un mode de distribution indirect, ils ont conscience de leur importance et ont tendance à faire la pluie et le beau temps quant aux délais et aux prix. Entretenir un réseau d’installateurs peut être très compliqué et nous impose d’avoir un volume mensuel d’un millier d’unités.
Philippe Orvain. Il y a tout de même des sociétés qui se sont spécialisées dans cette activité, qui pratiquent des tarifs conformes au marché et qui ne sont pas à géométrie variable.
Jean-Yves Tallois. Il y a les installateurs et les distributeurs, quelquefois ils sont les deux. Les modèles économiques sont donc nombreux. D’autant plus qu’ils sont parfois nos partenaires et ajoutent leur intelligence au système.
Philippe Orvain. Il leur arrive de faire la mise en service, au-delà de l’installation.
Marc Trollet. C’est un vrai sujet, qui varie selon les pays. En France, chez Masternaut, nous faisons un tiers en propre, un tiers via des installateurs, dont c’est le cœur de métier et qui comprennent donc l’intérêt qu’ils ont à bien œuvrer une fois certifiés et formés. Nous avions des accords-cadres avec des sociétés nationales, mais le problème est que la qualité de la prestation change d’un point de représentation à un autre. Le dernier tiers est constitué des clients eux-mêmes, qui demandent à être formés ou nous imposent leur partenaire. Un schéma qui leur génère des économies, en réduisant les effets de logistique. En plus de cela, nous voyons des entreprises souhaitant que ce soit le loueur qui gère, afin que tous les véhicules soient livrés de série avec le boîtier.
JA. Les concessionnaires ne lorgnent-ils pas sur ce business générateur de chiffre d’affaires ?
Jean-Yves Tallois. Non, ils y sont poussés par la force des choses dans certains cas, mais ils ne manifestent pas d’envie particulière.
Denis Ferrer. Ils sont en recherche de relais de croissance, tout le monde le sait, mais cette piste n’est pas encore privilégiée. Ils ne se sentent pas prêts.
Eric Félix. Ils ne veulent pas le faire. Entre la vente de la voiture et des services, tels que le financement et la garantie, ils n’ont pas envie d’ajouter les boîtiers, quand bien même on leur fait la démonstration des gains potentiels. Nous avons récemment fait une réunion avec un grand groupe automobile qui nous a répondu que ce n’était pas son métier.
JA. Pourtant, ne pourraient-ils pas mieux maîtriser leurs retours de location à destination des parcs VO ?
Marc Trollet. Ils auraient effectivement une visibilité sur leur TCO, sur la part de risque liée à la conduite et biens d’autres avantages.
Eric Félix. Dans le nord de la France, nous avions démarré un projet avec un concessionnaire de marque Premium. Bien qu’il ait eu de bons retours et un indice de satisfaction en hausse, le constructeur a mis son veto et a fait stopper l’opération.
Jean-Yves Tallois. Les loueurs nous rapportent que c’est un frein à la vente car le client ne désire pas nécessairement que les informations remontent si haut.
Marc Trollet. Dans le PL, il y a un intérêt qui a été compris. Dans le VL, il faut attendre qu’un grand loueur montre la voie, et les autres suivront sans plus aucune crainte. Il faut attendre.
Thierry Perrault. Un des grands loueurs avait justement validé un projet de 25 000 véhicules avant de faire machine arrière. Il a, en effet, décidé d’adopter une autre approche, à savoir rencontrer tous les collaborateurs qui, dans les entreprises, seraient impactés par de telles installations.
Marc Trollet. En France, les loueurs sont tenus par les banquiers, on minimise donc les risques. Ils n’ont pas les compétences et prennent le problème par le mauvais bout en ne regardant pas les items intéressants. Nous manquons aussi de modèles économiques adaptés. A cela, on ajoute la crainte de la Cnil.
Jean-Yves Tallois. Il est clair que, sans les limites fixées par la Cnil, il y aurait moins de projets retoqués, et donc plus de véhicules équipés.
JA. Revenons sur le terrain de la technologie, quelles sont les solutions de transfert de données privilégiées ?
Jean-Yves Tallois. Pour le volume de données que nous avons à véhiculer, le réseau GPRS nous suffit très largement, les clients n’auront pas besoin de venir à la 3G ou au LTE. La seule variable, c’est le type et la fréquence des remontées d’informations.
Marc Trollet. Avec le temps, les coûts ont été divisés par trois grâce aux évolutions. Négocier avec nos fournisseurs pour avoir des modems GSM moins chers est une des briques de la géolocalisation.
Sébastien Saint-Aimé. Ce qui doit être performant, ce sont les serveurs qui sont derrière. Le client est exigeant et veut que l’information soit visible dans les quatre à cinq secondes qui suivent un clic. Le matériel en lui-même reste basique, ce sont les ressources, les capacités qu’on lui apporte qui doivent être élevées.
JA. Afin de réduire les coûts fonctionnels, regardez-vous du côté des opérateurs téléphoniques virtuels ?
Eric Félix. Aujourd’hui, les opérateurs virtuels impactent de plus en plus. Nous avons été démarchés il y a peu de temps et avons été surpris de la tarification agressive qu’ils peuvent afficher, jusqu’à 25 ou 30 % moins chère.
Eric Hubert. Ce qui est intéressant, pour un industriel, c’est d’avoir une offre paneuropéenne qui ne dépende pas du pays. Le service doit pouvoir être développé, livré, installé et opérationnel où que l’on soit. Avec la carte soudée, nous avons la simplicité d’industrialisation, aux coûts les plus bas, et une meilleure tenue en température, en plus d’une souplesse de portabilité selon le choix d’opérateur.
JA. La technologie grand public et ses dernières avancées vous inspirent-elles ?
Philippe Orvain. Il y a un protocole de communication qui vient d’être inventé et qui s’applique dans le domaine du relevé d’information sur parc. Les modems sont à un coût d’acquisition un peu plus élevé que le GSM-GPRS, mais le transfert de données est de l’ordre de quelques euros par an seulement.
Marc Trollet. En parallèle, il y a d’autres technologies sans fil grand public diverses et variées qui progressent et révolutionnent notre activité en nous permettant de créer des changements.
Frédéric Ligeard. Pour des ambulanciers, nous avions exploité la tendance du “Bring Your Own Device” (utilisez votre propre mobile, en français). Ainsi, ils s’identifiaient grâce à une application en montant dans leur véhicule.
JA. Enfin, quel apport pourraient avoir les outils avancés d’aide à la conduite ?
Frédéric Ligeard. Nous avons développé des prototypes de véhicules capables de croiser l’empreinte radar avec leur environnement pour se conduire tout seuls. Certes, il y a encore des progrès à faire, notamment dans la gestion des autres usagers de la voie publique, mais c’est clairement une voie d’avenir.
Denis Ferrer. Dans le PL, il y a déjà des applicatifs concrets. Par exemple, avec une connaissance de la topographie, le système est capable de prendre des décisions telles que de retarder le déclenchement de la climatisation si le camion a besoin de toute la puissance moteur dans une côte. Nous n’allons pas au-devant d’une rupture de technologie, mais d’une rupture de service.
Propos recueillis par Gredy Raffin et Axel Abadie
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