La voiture caméléon
L’industrie automobile aujourd’hui, c’est un peu « Jean qui rit et Jean qui pleure ». D’un côté, les nuages ne cessent de s’amonceler au-dessus de la tête des constructeurs sous la forme d’une pluie de nouvelles obligations européennes assorties de lourdes sanctions financières potentielles, d’alourdissement de la fiscalité environnementale, d’incertitudes commerciales, d’interdiction de circulation dans les villes. En un mot « l’automobilebashing » bat son plein.
Et dans le même temps, la voiture bénéficie toujours, n’en déplaise à ses détracteurs, d’un fort degré d’attachement de la part de ses utilisateurs. Neuf détenteurs d’un véhicule sur dix en France s’y disent attachés, vient de révéler la dernière étude de l’Observatoire Cetelem (1). Pour ces amoureux des quatre roues, la voiture rime encore avec liberté, évasion, rêve et ils ne sont pas prêts de s’en séparer. Toujours selon cette étude, 61 % des Français n’utilisent jamais ou pratiquement jamais les transports en commun, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne (58 %) et mondiale (54 %). D’ailleurs, l’histoire d’amour entre les Français et leur automobile a encore de beaux jours devant elle si l’on en croit ce même baromètre, puisque 80 % d’entre eux pensent qu’ils achèteront ou possèderont encore des voitures dans dix ans.
La quasi-grève générale des transports en commun qui paralyse la France à partir d’aujourd’hui pour sauver les régimes spéciaux de retraite, risque de redorer quelque peu l’image de la voiture dans la mesure où elle devient – en usage individuel ou via la mutualisation – le seul moyen de se rendre à son travail ou, tout simplement, de se déplacer.
Ce « chaud et froid » qui souffle sur l’industrie automobile s’inscrit dans une révolution culturelle inédite autour de l’environnement et de l’empreinte carbone des transports. Mais les décisions qui en découlent font peser un risque réel sur l’équilibre économique et financier de la filière. Prenons le cas de la nouvelle norme WLTP : en mesurant plus finement les consommations réelles des véhicules, elle va aboutir à augmenter les émissions de CO2 et à renchérir le coût fiscal de ces derniers. Résultat, dans les entreprises, les gestionnaires de parcs ne savent plus à quelle motorisation se vouer et sont tentés de stopper ou au minimum de différer leurs commandes.
Même constat pour l’électrique. Les constructeurs ne jurent plus que par cette énergie, parée de toutes les vertus. Mais quid des consommateurs finaux ? Ont-ils la même appétence pour ces modèles, plus chers à l’achat, et dont les conditions de recharge ne sont pas totalement assurées malgré les engagements gouvernementaux ? Les parts de marché de l’électrique stagnent et le doute s’installe dans les têtes.
Et que dire du Diesel ? Laminé par ses pourfendeurs, il pourrait malgré tout renaître de ses cendres à la faveur des normes européennes CAFE, qui fixent des objectifs contraignants aux constructeurs en termes de rejets de CO2. Un comble pour une filière qui annonce, mois après mois, l’arrêt de ses investissements dans les motorisations diesel et de la commercialisation de ses gammes au gazole.
Finalement, l’industrie automobile s’apprête à jouer dans les prochaines années un rôle de contorsionniste pour se conformer à la variété des règlementations, tout en répondant à la diversité des demandes des consommateurs. Une nouvelle fois, on souhaiterait connaître la solution alternative durable avant d’envisager sérieusement la disparition de l’auto…
L’Arval Mobility Observatory
(1). Mobilités, géographies, générations : la Fracture automobile. Décembre 2019. L’Observatoire Cetelem.