En Bourse, l’électrique qui rit, le pétrole qui pleure
Est-ce la conséquence de la Covid-19, de la nécessaire transition énergétique, de la montée inexorable et parfois excessive de la conscience écologique dans les pays? En Bourse, les critères des investisseurs laissent parfois sceptiques les observateurs. Prenons le cas de Tesla : sa capitalisation boursière atteignait en début de semaine 286 milliards de dollars à New York ; un chiffre qui a triplé depuis le début de l’année et qui, comme le souligne le Wall Street Journal (1), représente plus que celles de Bank of America et American Express réunis. Si le constructeur de voitures électriques était coté sur le S&P 500 (indice regroupant les 500 plus grosses entreprises américaines), il figurerait à la 13ème place, juste derrière la banque JP Morgan Chase ! Vous avez dit irrationnel ?
Dans le même temps les majors pétrolières, elles, n’en finissent pas de passer leurs comptes à la paille de fer et d’alourdir la facture de leurs dépréciations d’actifs en raison de la chute des cours du brut, de l’effondrement de la demande pétrolière liée à la crise économique et de l’avenir sombre que l’on prédit à l’or noir. Là encore les chiffres donnent le vertige : 22 milliards de dollars de dépréciations pour le seul deuxième trimestre chez l’anglo-néerlandais Royal Dutch Shell, entre 13 et 17,5 milliards pour le britannique BP ou encore près de 4 milliards pour l’italien ENI.
En Bourse, ces grandes compagnies pétrolières voient leurs capitalisations fondre, alors qu’elles recèlent chacune des réserves immenses de pétrole et de gaz à travers le monde, synonyme de carburant de l’économie mondiale. Shell affiche péniblement 69 milliards de dollars de valorisation en Bourse, BP 77 milliards, ENI 103 milliards.
Peu importe que ces compagnies, jadis toutes puissantes et qui animaient la géopolitique mondiale, affichent haut et fort des ambitions de neutralité carbone en 2040 ou 2050, les marchés ne suivent plus et reportent leurs suffrages sur des acteurs plus en phase (de leur point de vue) avec l’environnement actuel. Car le Talon d’Achille des pétroliers, ce n’est pas leur stratégie, mais bien davantage les incertitudes sur la demande de pétrole, demain, et à quels niveaux de prix. En matière de prévisions, on nage en plein brouillard avec, selon certains, une remontée du baril à 60 dollars pas avant 2023… A condition, qui plus est, de ne pas subir de nouvelles pandémies d’ici là, qui auraient raison de la réouverture des économies et de la reprise des déplacements.
Face à ces mastodontes de l’ancienne économie aujourd’hui aux pieds d’argile, il est plus facile pour les marchés d’adhérer aux belles histoires de voitures, SUV et autres pick-up électriques, qui ne pollueront plus (ou moins) la planète. Peu importe que certaines de ces jeunes entreprises n’aient pas encore commercialisé un seul véhicule, à l’instar du concepteur de camions électriques Nikola Motor, valorisé à quelque 20 milliards de dollars. « La Bourse est folle de voitures électriques », résume le Figaro économie (2). Pour combien de temps ? Au début des années 2000, on se souvient des sagas de start-up de l’Internet, un peu trop vite valorisées des milliards de dollars, avant d’être ravalées au rang de « junk bonds » par les agences de notation. Preuve s’il en est besoin que la Bourse a bel et bien ses raisons que la raison ignore, serait-on tenté de dire.
L’Arval Mobility Observatory
(1). Tesla’s stock rally excites Bulls and Bears. TheWall Street Journal US. 14 juillet 2020.
(2). Le Figaro Economie. 15 juillet 2020