A quand les "stations-tous-services" ?
Avec la crise de la Covid-19 et les nécessaires mesures de confinement qu’elle exige pour espérer l’endiguer dans les meilleurs délais, on ne compte plus les secteurs économiques qui appellent "à l’aide". Coiffeurs, libraires, esthéticiennes, parfumeries, fleuristes, boutiques d’habillement, de jouets... viennent chaque jour grossir les rangs des restaurateurs, cafetiers et autres hôteliers en mal de clients depuis des mois. Chacun attend de l’Etat son "plan Marshall", qui les sauvera du marasme.
Il est un autre secteur, qui a certes souffert du premier confinement avec l’arrêt net des déplacements, mais dont l’avenir se dessine en pointillés avec les changements sociétaux en cours en termes de mobilité. Si l’on en croit une étude du cabinet Colombus Consulting, les stations-service (puisqu’il s’agit d’elles) vont devoir faire leur aggiornamento, si elles veulent rester durablement dans le paysage économique français.
On en comptait 41 600 dans l’Hexagone en 1980. Quarante ans plus tard, elles ne sont plus que 11 000. Et ce chiffre pourrait encore diminuer dans les prochaines années compte tenu de l’essor de la voiture électrique et de la révolution des modes de déplacements. A bien regarder, cela fait des années que les stations-service se battent pour défendre leur modèle, à la ville comme à la campagne. Elles ont dû faire face à la concurrence des grandes surfaces qui ont fait du carburant "à prix coûtant", un produit d’appel. Elles ont dû investir lourdement dans les mises aux normes environnementales voulues par Bruxelles. Elles ont peu à peu déserté les centres-villes, véritables moutons noirs de municipalités soucieuses de verdir leur image. Sur les autoroutes, elles se sont peu à peu transformées en espaces à vivre pour les conducteurs, moyennant là encore des efforts financiers conséquents.
Face à des marges qu’elles estimaient trop faibles au regard de ces contraintes croissantes, plusieurs majors pétrolières étrangères ont d’ailleurs préféré réduire la voilure en France ou jeter l’éponge en cédant leurs réseaux de distribution : Shell en 2009, BP en 2010 ou encore Esso (Exxon-Mobil) en 2015.
Cette fois, la nouvelle révolution qui attend les stations-service concerne l’ensemble du réseau et non pas simplement les stations traditionnelles ou rurales. Toutes, indiquent les analystes de Colombus Consulting (1), vont faire face à une baisse de la consommation de carburants (un tiers d’ici 2035), à une chute de leur fréquentation (-48 % en grandes et moyennes surfaces) ou encore à un effondrement de leur rentabilité (de l’ordre de 50 %, avec un effet particulièrement dévastateur pour les petites structures indépendantes, souvent situées en milieu rural). En un mot et pour parodier une citation de Jean de La Fontaine, "elle ne mourraient pas toutes mais toutes seraient frappées". (2) Toutes enfin, si elles veulent survivre, devront troquer tout ou partie de leurs pompes à essence pour des bornes de recharge électriques, afin d’accompagner l’électrification du parc automobile.
Et si le réseau de stations-service français devenait le prochain caillou dans la chaussure du gouvernement (en a-t-il besoin…)? Pour éviter les "zones blanches", c’est-à-dire l’absence de stations dans certains territoires, des collectivités locales reprennent à leur compte la gestion de points d’avitaillement. Faudra-t-il aller plus loin et mettre l’Etat à contribution ?
De là à voir se profiler en milieu rural des points de vente La Poste-Bistrot-Tabac-Presse-Messagerie-Pharmacie-Carburant-Recharge électrique, il n’y a qu’un pas. Qu’il faudra franchir !
L’Arval Mobility Observatory
(1). Les stations-service en 2035. Colombus Consulting. Octobre 2020
(2). Les Animaux malades de la peste. Fables de La Fontaine (1678-1679)