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Distribution

Ventes aux enchères : une nouvelle dimension pour les commissaires-priseurs

Publié le 11 mai 2021

Par Gredy Raffin
7 min de lecture
Le monde des enchères est entré dans une nouvelle dimension. Les résultats obtenus en année de crise donnent raison à des commissaires‑priseurs devenus bien plus que des animateurs de ventes. Les enchères deviennent des places de marché.
Selon le bilan pré­liminaire du Conseil des ventes, les salles d'enchères automobiles ont généré 1,536 mil­liard d’euros de chiffre d'affaires en 2020.

 

De mémoire de commis­saire‑priseur, l’année 2020 a été exceptionnelle à tout point de vue. Après la fermeture forcée du premier confinement, les statistiques se sont envolées comme personne ne l’avait encore vu.

"Tout partait, je n’ai jamais vécu cela en 25 ans", commentera Dominique Soinne, associé chez Mercier & Cie et porte‑parole du Conseil des ventes. Plus de 80 % des véhicules trouvaient preneur à chaque session. Des produits qui partaient à 80-85 % de leur cote kilométrique (voire 87 % pour certaines Peugeot), contre une moyenne de 75 % en 2019. Au bout du compte, les chiffres sont bons pour le secteur. Selon le bilan pré­liminaire du Conseil des ventes, les véhicules d’occasion (94 % de la valeur du marché, montant en re­pli de 6,1 % en 2020) et le matériel industriel (6 % du marché, mon­tant en gain de 1 % en 2020) ont généré une manne de 1,536 mil­liard d’euros dans les salles en 2020. Certes, en décroissance de 5,7 %, ce montant d’adjudication n’est autre que le deuxième meilleur score de l’histoire. L’exercice bouclé n’en­trave alors qu’à peine la marche en avant. Sur les dix dernières années, la progression annuelle moyenne s’établit à 5,2 %.

 

Démystification profitable

 

Sur ce début d’année, la tendance se veut tout aussi positive et même meilleure que l’entame historique de 2020. Le niveau de fréquentation des salles – physiques ou virtuelles – apporte pleine satisfaction aux commissaires‑priseurs. "Nous dé­passons les objectifs fixés et suivis par nos apporteurs d’affaires", claironne Pierre Drouin, associé chez Mer­cier & Cie. "Nous nous attendions à vivre des premières semaines assez calmes, il n’en est rien", lui fait écho Guillaume Arnauné, à la tête du groupe Enchères VO (ex‑Toulouse Enchères Automobiles). Il s’ex­plique ce phénomène par une ren­contre pertinente de l’offre et de la demande. Les principales maisons d’enchères enregistrent toujours un taux de transformation, dès le pre­mier passage, supérieur à 80 %.

 

Au‑delà de la performance remar­quable, chacun y décèle une reconnaissance du métier. Les enchères deviennent un canal de vente à part entière. Une énième alternative à la visite en concession. "Nous tra­vaillons tous dur à nous départir de l’image de produits d’occasion sans garantie, ni traçabilité. Moins fer­mées, les enchères ont été démystifiées et les codes du langage sont maîtrisés par les clients", observe‑t‑on dans l’une des maisons.

 

Forts de ces nouvelles dispositions, les établissements veulent étendre leur empreinte. Le groupe BCA a montré la voie. "En France, il est encore question de raisonner en lo­gique de vente aux enchères, alors que dans les autres pays, nous par­lons de place de marché", commente Olivier Fernandes, directeur géné­ral de BCAuto Enchères, la filiale hexagonale du groupe européen. "Nous n’avons jamais revendiqué cette étiquette de maison d’enchères, le rejoint Guillaume Arnauné, chez Enchères VO. Nous sommes aussi à 200 % dans cette notion de place de marché qui emploie des techniques de vente, dont les enchères."

 

Les com­missaires‑priseurs ont toute leur importance dans l’organisation, certes, mais il devient obsolète de les réduire à cette seule fonction. Ils sont désormais bien plus. D’ail­leurs, BCA réalise une part non négligeable de son chiffre d’af­faires hors de ce périmètre avec Kia, Hyundai, Véhiposte ou encore Al­phabet. Le montant déclaré – celui sur lequel les entreprises du secteur payent des taxes – ne reflète pas pleinement l’ampleur des services rendus par ailleurs.

 

Multiplication des services

 

"Désormais, les maisons s’apparen­tent davantage à des distributeurs automobiles indépendants", com­mente un consultant expérimen­té, spécialiste du véhicule d’oc­casion, abondant dans le sens de Pierre‑Emmanuel Beau, président d’Autorola France. Être plus que des commissaires‑priseurs ne re­met pas pour autant en question le rôle des établissements historiques du secteur, d’après lui. "Nous nous devons d’apporter le prix de marché à des clients, notamment les loueurs, qui ont une idée de plus en plus précise de la valeur à tirer des pro­duits", se positionne Pierre‑Em­manuel Beau. Mais pour notre consultant, l’ajout constant de ser­vices fait bouger les lignes.

 

Directeur général d’Alcopa Auction, Jean‑François Maréchal juge que la fluidification reste sa mission prio­ritaire. En amont, l’outil de cotation proposé en BtoB a engendré du tra­fic et des volumes. Derrière, la logis­tique se perfectionne. Les délais se réduisent. En moyenne, Alcopa Auction prend trois semaines pour récupérer un véhicule chez un client et pour lui trouver un nouvel acqué­reur dans une de ses salles. Une mé­canique si bien huilée que le groupe a grimpé de 8 % en volume l’an pas­sé, à 93 000 unités, selon son bilan officiel. "Il faut s’interroger sur le reconditionnement. Nous menons ac­tivement des réflexions, car il nous faut soulager les aires de stockage des concessionnaires", amorce le pro­chain chapitre celui qui, en dé­cembre dernier, était justement au centre de rumeurs de reprise d’un site industriel à cette fin.

 

Enchères sans frontières

 

Globaliser l’écosystème. Telle est la nouvelle étape de cette mutation profonde amorcée il y a une dé­cennie. Dans le fond, voilà un des enjeux qui ont conduit Guillaume Arnauné à consolider ses activités sous une bannière unique, celle d’Enchères VO, au lieu de conti­nuer à travailler via Toulouse En­chères Automobiles et ses filiales régionales. Ils ont tout autant poussé VPAuto, maintenant dans le giron du groupe CAT, à ouvrir deux nouvelles salles, à Lyon (69) et Aul­nay‑sous‑Bois (93), fin 2020, dans une quête de la maîtrise territoriale.

 

Difficile de cacher l’influence de BCAuto Enchères sur ces feuilles de route stratégiques. D’ailleurs, le leader européen fait aussi face à des défis. "Nous devons communiquer sur BCA Group, explique la nou­velle stratégie Olivier Fernandes, car nous devons parvenir à gommer la notion de frontières." Et ce, pour une raison simple : mieux amener l’offre là où il y a de la demande. Ef­facer les limites étatiques, c’est éga­lement la possibilité de suivre les développements internationaux de concessionnaires. Alcopa Auction en sait quelque chose, puisque la maison a ouvert, fin 2020, une salle à Madrid pour épauler un de ses partenaires français en expansion.

 

Les cloisons virtuelles tombent aus­si. Le monde numérique et ses co­des spécifiques l’imposent. "2021 verra la clientèle en ligne devenir plus nombreuse que celle présente en salle", prophétise Dominique Soinne. Il souligne, par ailleurs, l’enjeu de l’informatique. Enchères VO promet à ce titre une transfor­mation profonde de son environ­nement."Nous ne pouvons plusavoir de système propriétaire et les API deviennent une référence pour les échanges avec des tiers, re­marque Guillaume Arnauné. Nos entreprises deviennent de plus en plus sophistiquées." Une sophis­tication au service de la simplicité."Le marché ne réclame pas grand‑chose sinon de la praticité", approuve Pierre‑Emmanuel Beau. Autorola avance dans cette direc­tion et, sous peu, proposera de pro­fiter d’une interaction forte entre ses trois activités, dont Autorola Marketplace, Indicata et Autorola Solutions, pour apporter un nou­veau niveau de services à ses clients.

 

Approvisionnement sous surveillance

 

Le classement établi par le Conseil des ventes est‑il toujours révélateur des tendances ?"Auto1 ne figure pas dans le panel, mais leur activité de place de marché est en concurrence directe avec les nôtres", analyse l’un des cadres d’une maison d’en­chères."Sur le fond, ces nouveaux ne sont pas dérangeants, mais leur positionnement est ambigu", grince‑t‑on, par ailleurs. "Auto1 gagne des parts de marché chez les concessionnaires, admet un autre, mais les sociétés de recouvrement doivent encore conserver un lien avec les commissaires‑priseurs", fait‑il de la réglementation l’ultime bastion.

 

Cette nouvelle concurrence indi­recte ajoute d’autant plus de ten­sion sur un marché où frappe la pé­nurie de matériel."Le volume reste l’élément le plus important dans ce métier, pose François‑Laurent Guignard, chez VPAuto. Chaque mois, nous surveillons les tendances et nous prenons des initiatives." Dans les rangs de Mercier & Cie, la raréfaction ressentie se traduit par une inflation du prix moyen."Nous nous battons chaque se­maine pour avoir un plateau attrac­tif, rapporte Pierre Drouin. Il y a une baisse de 35 à 40 % des dossiers au tribunal de commerce, du fait de l’assouplissement des règles des éta­blissements financiers, il y a donc moins de véhicules saisis, se fait‑il une raison.Le second semestre sera à surveiller."

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