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Constructeurs

L'Autorité de la concurrence retoque les constructeurs automobiles

Publié le 8 octobre 2012

Par Hervé Daigueperce
10 min de lecture
Appelant à un rééquilibrage de la filière après-vente, l'Autorité de la concurrence a remis son rapport sur le "fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l'entretien et de la fabrication et de la distribution des pièces de rechange", en prônant, entre autres, la fin du monopole des constructeurs sur les pièces visibles.
Appelant à un rééquilibrage de la filière après-vente, l'Autorité de la concurrence a remis son rapport sur le "fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l'entretien et de la fabrication et de la distribution des pièces de rechange", en prônant, entre autres, la fin du monopole des constructeurs sur les pièces visibles.

Lorsqu'en avril dernier, l'Autorité de la concurrence avait publié son document de consultation publique sur cette question, son président, Bruno Lasserre, était loin de s'imaginer à quel point les débats allaient faire rage. Et ne soupçonnait pas non plus, semble-t-il, le degré d'implications des acteurs de la filière, jusqu'au moment où la propre Autorité de la concurrence a été elle-même conduite à se justifier devant le Conseil d'Etat, saisi par les constructeurs automobiles français.

Au-delà de la guerre partisane, voire fratricide, à laquelle nous avons tous été conviés, nous devons nous féliciter d'une action qui  a permis de poser à plat une grande partie des dysfonctionnements d'une filière, comme en témoigne le rapport de deux cents pages fourni par l'Autorité de la concurrence, qui nous donne bien du grain à moudre pour d’autres sujets.

Pour être tout à fait honnêtes également, disons que la victoire – si l'on peut parler de victoire concernant un "avis" et non pas une décision – des indépendants sur les constructeurs se veut surtout, dans un premier temps, hautement symbolique. L'expression citée par le président, "Il faut donner du temps au temps", s'avère on ne peut mieux choisie. Après le temps des consultations, il appartiendra aux politiques de statuer, puis aux professionnels de mettre en place, puis aux automobilistes de se familiariser, etc.

En outre, l'Autorité de la concurrence elle-même préconise d'aller piano en ne voulant pas, pour la pièce "captive", "être la goutte d'eau qui fait déborder le vase des constructeurs français d'automobiles". Mais d'autres pans évoqués (contrats de garantie, accès aux informations, freins à la commercialisation par les équipementiers..) ne bénéficieront pas d'une telle mansuétude s'ils ne sont pas traités rapidement.

La protection des pièces visibles : fin du monopole préconisée

Après avoir démonté, pièce par pièce, les conclusions avancées par les constructeurs automobiles (maintien de l'incitation à investir dans le design, maintien de la qualité et de la sécurité des pièces, et maintien de la disponibilité des pièces), l'Autorité de la concurrence s'est exprimée en faveur de la fin du monopole des constructeurs d'automobiles, sur les pièces dites visibles (pièces de carrosserie, optiques de phare, rétroviseurs, etc.), rendu possible par la double protection du droit des dessins et modèles, et du droit d'auteur.

Cependant, tenant compte des difficultés économiques du secteur de la construction automobile, l'Autorité de la concurrence propose "une ouverture graduelle du marché inscrite dans le droit". Autrement dit, elle recommande l'instauration d'une "clause de réparation" comme dans 11 pays européens, mais s'étalant sur une durée de quatre à cinq ans, en fonction des pièces. Pour la première année, seraient libéralisées les pièces de vitrage et d'optique (soit 30 % du marché). En seconde année, ce serait au tour des rétroviseurs et des pare-chocs, soit 60 à 70 % du marché pour atteindre en année 4 ou 5, les 100 % de pièces libéralisées, avec les pièces de tôlerie.

Cela permettrait aux équipementiers et aux constructeurs de mettre en place des solutions pour ne pas être impactés de façon trop sensible. L'Autorité de la concurrence estime que ces mesures pourraient se traduire par "une baisse moyenne – de l'ordre de 6 à 15 % – des pièces visibles. La levée progressive de cette protection permettrait, par ailleurs, aux constructeurs et aux équipementiers de se prémunir contre un risque d'impréparation face à l'ouverture possible du marché au niveau européen".

Il est clair, en effet, que chez les uns et les autres, rien n'a été fait pour créer une organisation, notamment logistique pour servir d'autres clients que les constructeurs et leurs réseaux. L’Autorité de la concurrence a bien spécifié que cela devrait passer par des textes de lois, et réitère son rôle de préconisateur, validé par une enquête de plusieurs mois et renforcé les recherches de plusieurs dizaines de personnes. Rappelons que l’on parle d’un chiffre d’affaires équivalent à 13-20 % de l’ensemble des pièces détachées et évalué entre 1,8 et 2,6 milliards d’euros.

Les autres préconisations en faveur d'une meilleure concurrence

L’Autorité de la concurrence s’est aussi saisie d’autres sujets moins médiatisés, mais cependant préjudiciables à une libre concurrence sur ce marché de l’après-vente. C’est ainsi qu’elle a soulevé le problème de la disponibilité des pièces de rechange, soit lorsqu'elles sont très récentes (les mois qui suivent la sortie des véhicules) ou très spécifiques, comme des injecteurs, etc. Là encore, la position des constructeurs a été invalidée et l’ADLC recommande que "les équipementiers première monte puissent commercialiser pour leur propre compte les pièces de rechange qu’ils fabriquent et ne se voient pas imposer de clauses restrictives injustifiées dans les contrats qui les lient aux constructeurs".

Sans que cela soit totalement explicite, il a été question, là, des pressions effectuées par les donneurs d’ordre, qui n’hésitent pas à empêcher lesdits équipementiers à commercialiser les pièces sous prétexte que celles-ci sont logotypées de la marque du constructeur. La recommandation a été d’effacer le logo, les particuliers, du reste, s’en moquent un peu du moment qu’ils peuvent acheter la pièce moins chère.

Autre sujet abordé, l’accès aux informations techniques. Devant la complexité du sujet, l’Autorité de la concurrence renvoie à une étude du cas par cas du refus ou de l’entrave. Et a rappelé qu’il était souhaitable d’amplifier les processus de normalisation actuellement en cours. L’ADLC a clairement laissé entendre que des sanctions pourraient être prises par les instances concernées, ou devraient être prises : "L’efficacité des règlements techniques existants est conditionnée à la mise en place de dispositifs de contrôle et de sanction suffisamment dissuasifs et crédibles, lesquels sont aujourd’hui inexistants." 

Garantie et extension de garantie : pas clair du tout ! Emue, de surcroît, par de nombreux commentaires d’automobilistes, évoquant le manque de clarté dans les documents des constructeurs quant à la possibilité de faire entretenir son véhicule hors des réseaux constructeurs, l’ADLC recommande que "les clauses de contrats de garantie ou d’extension de garantie du constructeur soient les plus claires et explicites possibles sur la faculté du consommateur à utiliser les services d’un réparateur indépendant sans perdre le bénéfice de la garantie". Cette liberté de l’automobiliste étant déjà assez peu maîtrisée par le consommateur pour qu’il ne lui soit pas opposé des textes à tiroirs ! Enfin, il a été conseillé par l’ADLC de prendre garde aux "prix conseillés" qui ne lui semblent pas clairs et pouvant induire de mauvais messages entre les différents canaux.

ADLC : Les réactions des intéressés

La Feda pavane

Bien entendu, la Feda approuve pleinement ces recommandations (qu'elle a très largement appelé de ses vœux depuis de nombreuses années). Eternelle insatisfaite, l'organisation syndicale regrette néanmoins que "la suppression du monopole sur les pièces « captives », préconisée par l’Autorité, votée en 2007 par le Parlement européen et adoptée sous la forme d’une « Clause de Réparation » par de nombreux pays de l’UE et tous les pays limitrophes de la France, ait pris un tel retard dans notre pays, laissant ainsi s’établir les usines de fabrication de pièces de l’autre côté de nos frontières plutôt que sur notre propre territoire". Tout est dit, et l'on sent la jubilation de toute la filière indépendante qui, outre le fait de capter quelques parts de marché supplémentaires, pourra, si l'avis de l'ADLC est suivi par les politiques, leur permettre de se battre à armes égales dans des règles de concurrence plus équitables. Enfin, l'organisation syndicale salue l'initiative qui, dans le cas d'une mise en place réglementaire, permettrait enfin aux acteurs français d’intégrer le marché européen de la fabrication et de la distribution des pièces visibles (phares, feux, pare-chocs, rétroviseurs, pièces de carrosserie…). Aujourd'hui, rappelons que le monopole des constructeurs empêche jusqu'à la fabrication de pièces sur le sol français, même si elles ne sont pas destinées à notre pays.

Les constructeurs ne désarment pas

Bien entendu, son de cloches tout à fait différent chez les constructeurs, qui, par la voix du CCFA, du CNPA et du CSIAM réunis, ont tenu conférence dans la foulée, argumentant sur le drame que représentent de telles mesures. Malheureusement, le discours n'a convaincu que peu de personnes dans l'assemblée. Peut-être faudra-il y voir une performance contre-productive de Patrick Blain, président du CCFA, qui passa une bonne partie de sa litanie à expliquer – sans convaincre – que les Chinois sont à nos portes, et n'attendent que le feu vert des autorités françaises pour nous inonder de capots tueurs, de boucliers à la peinture qui cloque et je ne sais quelle autre billevesée. En oubliant toutefois de dire que l'ouverture du marché ne signifie pas qu'il faut interdire aux constructeurs de commercialiser les pièces de carrosserie ! Les marques continueraient donc de commercialiser leurs pièces, mais les équipementiers auraient simplement le droit de commercialiser leur production dans la filière indépendante.

Sur un autre plan, les organisations proches des constructeurs dénoncent des manipulations de chiffres de la part de l'ADLC, qui n'aurait instruit le dossier qu'à charge. Là, il faut leur donner raison. Si chacune des parties a été entendue et a pu apporter sa contribution, aucun débat contradictoire ne fut organisé par l'Autorité. Ce qui eut été particulièrement instructif, pour les observateurs que nous sommes. Rappelons que nous sommes en face d'interlocuteurs qui avancent des chiffres tout à fait contradictoires, aux conséquences opposées, dont il est difficile, voire impossible, de discerner la véracité. En conséquence, les trois organisations ont déjà annoncé qu'elles dénonceraient une nouvelle fois l'avis de l'ADLC auprès du Conseil d'Etat, afin de signifier leur désaccord avec la méthode utilisée et les conclusions du rapport.

Quand on voit avec quelle fermeté – voire agressivité – les constructeurs cherchent à défendre leur monopole et les arguments qu'ils avancent, il convient de s'interroger sur les vraies raisons de leur ire…  Et c'est tristement que l'on peut se risquer à une conclusion à laquelle chacun espère une issue heureuse: N'est-ce pas l'occasion pour les constructeurs de revoir un modèle économique en bout de course, au sein duquel les marges et la survie des concessionnaires se jouent sur leur performance en après-vente, et non sur la vente des véhicules…

En guise de conclusion

Le travail de l’Autorité de la concurrence a été remarquable à plus d’un titre, notamment en ouvrant la possibilité à l’ensemble des acteurs de s’exprimer. Il semblerait, cependant, que cette liberté aussi soit contestée par le CCFA qui évoque un parti pris de l’ADLC (lors de la conférence CCFA/CNPA et CSIAM en réaction). Il serait plus judicieux, pour tous, que l’on prenne le problème par le bon bout, celui du commerce. Que les réseaux constructeurs veuillent continuer de bénéficier d’un monopole pour vendre plus et surtout assurer la marge qu’ils n’arrivent plus à faire dans la vente du VN se comprend. Qu’ils veuillent continuer à verrouiller leurs clients grâce à une fidélisation "forcée" est de bonne guerre.

Mais que les représentants des constructeurs qui ont délocalisé en douce depuis des années continuent à donner des leçons de civisme et du fabriqué en France, qu’ils jouent du chantage à l’emploi (en l’occurrence nullement avéré) en oubliant que depuis des années, ils se sont offerts les services du "Service public" pour continuer à produire en France, laisse comme un arrière goût amer détestable. Jusqu’au point de resservir le capot qui tue – pardon –, le capot qui cloque, c’est impardonnable.

Elevons le débat, parlons de l’heure travaillée mal vendue, de la pièce qui compense, des problèmes des assurances, de l’utilisation d’autres modes de remplacement, de concurrences de filières, d’approvisionnements croisés, de plates-formes communes, mais arrêtons de jouer aux vierges effarouchées quand de la faute initiale, il n’y a plus de traces et qu’il faut construire ensemble afin de protéger ensemble.

Patrick Blain (président du CCFA) a revêtu les Chinois des peintures des Indiens d’Amérique pagayant sur la Seine pour scalper nos équipementiers, mais qui a créé d’autres réseaux de pièces parallèles aux boîtes ornées de plumes sinon nos constructeurs français ? Parlons commerce, oui et laissons l’ethnologie aux spécialistes. Et interrogeons-nous de l’alliance contre nature entre le CCFA et certaines branches du CNPA, dont les intérêts, en ce domaine, sont loin d’être communs…

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