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Constructeurs

Castle Bromwich, la jungle feutrée de Jaguar

Publié le 17 novembre 2006

Par Frédéric Richard
9 min de lecture
Ecoutez. Ecoutez mieux. Vous entrez dans le monde feutré de Jaguar Castle Bromwich. Loin des usines bruyantes communément rencontrées dans l'industrie automobile, la nouvelle XK se fabrique ici dans la sérénité. Le site Jaguar de Castle Bromwich au Royaume-Uni jouit d'une...
Ecoutez. Ecoutez mieux. Vous entrez dans le monde feutré de Jaguar Castle Bromwich. Loin des usines bruyantes communément rencontrées dans l'industrie automobile, la nouvelle XK se fabrique ici dans la sérénité. Le site Jaguar de Castle Bromwich au Royaume-Uni jouit d'une...

...histoire plutôt atypique au sein de la marque. La construction de l'usine débuta en 1938, tout d'abord pour fabriquer des avions. Entre 1940 et 1945, près de 12 000 Spitfires sortiront des lignes de production. Plus tard, dans la généalogie de Jaguar, seules les pièces d'emboutissage et la soudure des carrosseries s'effectuaient à Castle Bromwich, ces éléments nécessitant par la suite un transport jusqu'à Browns Lane, le siège historique de fabrication de Jaguar, situé à Coventry. En 1999, à la faveur du rachat de Jaguar, par Ford, 10 ans plus tôt, il fut décidé de construire la XJ en aluminium dans son intégralité à Castle Bromwich. Un événement qui sonnera le glas de l'usine de Coventry à l'été 2005. En effet, désormais, Browns Lane allait progressivement perdre son outil de production, transféré vers Castle Bromwich. C'est donc ainsi que, tout logiquement, la production des nouveaux coupés et cabriolets XK, en aluminium également, débuta fin 2005, en marge des XJ et des S-Type produites localement.
Un outil de production d'ailleurs particulièrement affûté, en partie responsable du bon accueil du véhicule. Jaguar prévoyait de vendre initialement 220 véhicules en 2006 et pas moins de 320 XK ont déjà trouvé preneur dans l'Hexagone. A tel point que les lignes de production accueillent désormais la version "Supercharged" de l'engin, le XKR, doté du même bloc V8, mais survitaminé à 410 chevaux, contre 304 dans la version "sage".
Bref aujourd'hui, moins de 500 employés manient quotidiennement les précieux éléments constitutifs du XK. Nous les avons rencontrés pour assister à l'émouvante naissance d'un véhicule d'exception.

Matériaux nobles

Une Jaguar XK, intégralement construite en aluminium, s'assemble comme un gigantesque mécano. Les premières étapes sont similaires à celles d'une production standard d'automobiles en acier. Ainsi, partant de plaques d'aluminium (1) de différentes épaisseurs livrées par Alcan par exemple, l'atelier d'emboutissage fournit des pièces de structure et de carrosserie pour l'étape suivante. D'énormes presses de plusieurs centaines de tonnes viennent imprimer la forme des ailes ou portières, à ces feuilles d'aluminium. Première différence avec un emboutissage d'acier, dont les presses travaillent à partir de rouleaux de matière première, qu'il faut découper avant d'emboutir. Ici, l'aluminium arrive en plaques, séparées par une fine couche lubrifiante et anti-corrosion. Malheureusement, au moment de la préhension d'une plaque par le robot chargé d'alimenter la presse, deux plaques peuvent rester collées. Inenvisageable. Ainsi, un jet d'air comprimé vient souffler entre les deux feuilles, tandis que le robot plie les deux extrémités de la feuille supérieure afin d'éviter ce désagrément. Astucieux. En trois à quatre passes (coups de presse successifs), les pièces de carrosserie sortent de la ligne, sont vérifiées à l'œil humain, puis partent à quelques mètres de là, dans l'atelier dit de soudage, où l'on ne soude d'ailleurs rien du tout !

Des rivets remplacent la soudure

Sortant de l'emboutissage, les éléments de carrosserie et de structure des futurs coupés et cabriolets sont momentanément entreposés dans l'atelier suivant, dont la mission est d'assembler tous les éléments entre eux. C'est en ce lieu, appelé market place (2), que se rejoignent les composants fabriqués sur place et ceux issus des fournisseurs prestataires de Jaguar. Car toutes les pièces d'aluminium ne sont pas issues de l'emboutissage local. Certaines pièces d'alu sont moulées, d'autres conçues en profilés, bref, un éventail de technologies plus ou moins pointues qu'il vaut mieux laisser faire à des spécialistes, pour des raisons de coût de revient principalement. Cet entrepôt sert ainsi de stock tampon pour l'assemblage.
Pour fabriquer un XK, il faut dissocier plusieurs grandes parties dans la structure (3). On construit ainsi, de manière séparée, la partie avant du plancher, la partie arrière, le bas de caisse droit et le bas de caisse gauche. Et chacun de ces modules est lui-même constitué d'une multitude de composants. C'est dire la complexité de l'ensemble. Sans compter que, pour un XK, on ne soude pas les pièces entre elles comme c'est le cas des structures de caisse des véhicules conventionnels. Tous les éléments sont rivetés ! Mais pas rivetés avec une petite pince de bricoleur et des rivets pop… Ces rivets-là se présentent en nappe et ne nécessitent aucun perçage préalable. C'est l'outil de pose qui effectue les deux opérations en même temps (4). La pince agit en fait un peu comme un puissant emporte pièce. Lors de la pose, la matière repoussée vers l'extérieur vient alors s'écraser contre la contre-pince, avec une pression titanesque de 150 kN, ce qui finalise l'opération de rivetage.
Utiliser cette technique pour l'assemblage d'éléments présente plusieurs avantages par rapport à la soudure. Premièrement, la soudure dégrade les qualités mécaniques de l'aluminium. Par ailleurs, le rivetage ne nécessite aucune préparation préalable des surfaces telles que le décapage. De plus, en terme de résistance à l'arrachement, un rivet se révèle trois fois plus solide qu'un cordon Mig par exemple. Pour finir, les ingénieurs voient un intérêt certain à utiliser les rivets, car ils permettent d'assembler de l'acier sur de l'aluminium par exemple, un mélange prohibé à la soudure !

L'assemblage

Une fois ces éléments de structure assemblés, il convient de les réunir entre eux. Là encore, l'opération se fait au moyen de rivets, mais de manière robotisée cette fois, compte tenu du nombre de points de fixation (5). Ainsi, l'on aboutit à un plancher qui commence à ressembler à une caisse automobile. Si l'on regarde à l'avant du squelette, on constate que plusieurs parties du châssis de la XK sont boulonnées et donc aisément démontables. Cela correspond en fait à des études réalisées sur l'accidentologie, qui montrent que, lors d'un choc à moins de 15 km/h, il suffira de remplacer tout bonnement les éléments abîmés, la structure lourde de la voiture ne devant subir de dommage. Ce qui permet une plus grande flexibilité pour le réseau après-vente. Encore un point stratégique bien vu du constructeur anglais, qui ne dispose évidemment pas du même maillage géographique qu'Audi ou BMW pour faire réparer ses voitures… Néanmoins, si le cas d'une voiture très touchée se présente, un concessionnaire Jaguar unique en France à Nantes, est habilité et équipé pour intervenir sur les parties rivetées d'un XK ou d'une XJ.
Vient maintenant l'heure de donner son pedigree final à notre XK. Sera-t-elle un coupé ou un cabriolet ? Jusqu'ici, impossible de le dire, car contrairement à d'autres véhicules dont les structures sont très différentes en berline et en décapotable, les deux types de XK disposent des mêmes gènes, à 95 % ! En effet, il n'y a pas de renforts supplémentaires au niveau des bas de caisse qui pourraient laisser supposer que nous avons à faire à un cabriolet... Bref, un coupé reçoit ici un élément latéral doté d'un montant de pavillon complet, tandis que le cabriolet, appelé "Convertible", se verra affublé d'un montant tronqué. Il est important de souligner qu'en plus d'un puissant rivetage, les pièces constitutives de la nouvelle XK sont, en plus, collées à la colle époxy haute résistance.
Les étapes de montage se poursuivent maintenant avec la pose des pièces dites "de peau", à savoir les ailes et le pavillon (pour les coupés) (6). Et voilà, maintenant que la voiture est complète, parée de tous ses composants, elle passe sous les lasers d'un énorme robot, qui va vérifier le bon alignement de l'ensemble et la géométrie. Puis la voiture est convoyée vers la ligne de pose des ouvrants, comprenez les portes et les capots, qui doivent impérativement être peints en même temps que la carrosserie. Chez Jaguar, on ne lésine pas sur les détails. Aussi, pour parfaitement aligner la portière avec la carrosserie, on lui appose un poids rigoureusement identique à l'ensemble de la masse des composants (vitre, équipements électriques…), de sorte qu'en fin de ligne de montage final, elle se retrouve parfaitement positionnée. De même, pour les capots, on place un gabarit représentant l'encombrement exact des projecteurs, pour obtenir un jeu minimal (7).
Avant de partir en peinture, les carrosseries complètes vont passer une ultime vérification. Sous des lumières spécifiques et judicieusement placées autour de la voiture, des experts traquent la moindre imperfection de la surface, souvent due à des défauts minimes d'emboutissage. Le cas échéant, on retouche immédiatement, sur place.

Le montage final

La voiture va maintenant prendre forme. Nous ne verrons malheureusement pas comment se déroule le processus de peinture. Ce département est en effet particulièrement sensible en raison de l'extrême propreté qui doit y régner.
En sortant de l'atelier peinture donc, les carrosseries rutilantes sont montées chacune sur un grand parquet personnel, oui vous avez bien entendu, un parquet de bois massif, afin que les employés puissent effectuer leurs opérations de montage dans le plus grand confort. Opérations qui commencent par la dépose des portières. Elles sont placées juste devant la voiture, sur des servantes permettant de les équiper en parallèle du montage de l'auto, sans qu'elles viennent l'entraver.
Mais déjà plusieurs hommes s'affairent autour de la carcasse (8). L'un pose le faisceau électrique, l'autre se charge des canalisations de frein, tandis qu'un troisième pose le bloc de climatisation. Les tableaux de bord arrivent directement prêts à monter de chez le fournisseur. Un robot permet ensuite à l'opérateur de faciliter son insertion dans l'habitacle. Sur la photo suivante, vous pouvez voir un élément clé du XK Convertible. Il s'agit de l'arceau déployable en cas de retournement de l'auto. Il est temps à présent de positionner la capote, puis le couvre capote (9) et les sièges arrières. A l'extérieur, la belle s'est parée, pendant ce temps, de ses phares, ses boucliers…
Nous voici arrivés à l'instant magique où la somptueuse mécanique du V8 va rencontrer la féline carrosserie du XK. Sur des chariots métalliques, plusieurs opérateurs ont installé train avant, train arrière, moteur et boite de vitesses, de sorte qu'à l'arrivée d'une carrosserie à cet endroit de la ligne, il ne reste plus qu'à élever l'ensemble pour joindre les deux éléments grâce à un boulonnage précis. L'une des dernières étapes du montage consistera à fixer les sièges avant, une opération qui s'effectue au moyen d'un bras articulé pour aider l'opérateur dans la manipulation (10). Et voilà, le nouveau XK part faire une batterie de tests fonctionnels comprenant des tests moteurs et des essais en roulage fixe. Enfin, après avoir vu ses disques de frein délicatement couverts d'un emballage plastique anti-corrosion, le véhicule va sagement attendre son embarquement sur un train qui le mènera vers son très chanceux propriétaire (11).


Frédéric Richard


 

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